
Les geôles de la DEMIAP, de Makala et de Ndolo ne sont plus des institutions pénitentiaires, mais des espaces de négation totale, où l'arbitraire règne comme une loi muette et où l'odeur du désespoir se mêle à celle du sang.
Ce sont des chambres d'ombre où l'État, devenu geôlier de ses propres citoyens, s'enfonce dans la honte et l'inhumanité. Des hommes et des femmes, pour la plupart Tutsi congolais, y sont conduits à la faveur de la nuit, les yeux bandés, les corps meurtris, pour disparaître dans le silence d'un système sans mémoire.
Aucun mandat, aucune procédure, aucune défense : seulement la peur et le supplice. La République, en prétendant défendre sa souveraineté, y sacrifie ce qu'elle avait de plus sacré, la justice. Et dans le tumulte des discours patriotiques, ce sont les cris étouffés des innocents qui résonnent encore, rappelant à Kinshasa que nul pouvoir, aussi triomphant soit-il, ne triomphe jamais de ses fantômes.
Car les nations qui érigent la peur en méthode de gouvernement finissent toujours hantées par les spectres de ceux qu'elles ont voulu effacer.
Au moment où les délégations du gouvernement congolais et de AFC/M23 s'apprêtent à se retrouver à Doha pour une nouvelle phase de pourparlers, l'ombre des prisons de Kinshasa plane sur les espoirs de paix.
Dans cette capitale où s'éteignent tant de destins, les geôles de la DEMIAP, de Makala et de Ndolo sont devenues les tombeaux d'une humanité que le pouvoir a renoncée à reconnaître. Les témoignages qui émergent, souvent au péril de la vie de ceux qui parlent, évoquent des rafles arbitraires, des transferts nocturnes, des tortures infligées avec une froideur méthodique, et des corps disparus dans le silence des administrations complices.
Les victimes sont pour beaucoup des Tutsi congolais, citoyens d'un pays qui les renie dès qu'il se cherche un bouc émissaire. Leur seul crime est d'exister dans un espace politique où leur identité, perçue comme suspecte, devient une menace à éradiquer.
Arrêtés sous prétexte de 'collaboration' ou d''infiltration', ils sont en réalité les otages d'un État qui, incapable de vaincre militairement le M23, s'acharne à briser moralement ceux qui partagent avec lui une ascendance ethnique. C'est la revanche d'une impuissance transformée en persécution.
Derrière les murs de ces prisons, c'est une nation qui se déshonore. Kinshasa nie, temporise, ment, puis se tait, comme toujours. Mais la rumeur des supplices, les visages de ceux qu'on ne revoit plus, et le deuil sans corps que vivent des familles entières, forment déjà le dossier le plus accablant qu'aucune diplomatie ne pourra effacer d'un trait de plume.
L'ethnie comme prétexte d'État : la dérive d'un pouvoir sans boussole
La question des Tutsi congolais n'est pas une question marginale : elle est la pierre de touche du projet républicain. Un État qui choisit de désigner une partie de ses citoyens comme 'étrangers' ou 'traîtres' mine sa propre légitimité. En ciblant cette communauté, Kinshasa ne défend pas la souveraineté nationale elle la pervertit. Car il ne s'agit plus ici de sécurité, mais d'un racisme institutionnel érigé en stratégie politique.
Depuis des années, la rhétorique gouvernementale entretient l'illusion commode d'un complot ethnique téléguidé de l'extérieur, tandis que le pouvoir central se défausse de ses échecs sur des minorités stigmatisées. Ce discours, relayé par des médias d'État et amplifié par des milices urbaines, a créé un climat de haine où tout Tutsi congolais devient un ennemi potentiel.
Le pays, déjà fracturé par les guerres à l'Est, s'enfonce dans une spirale de suspicion et de vengeance qui rend toute réconciliation presque impossible.
Cette dérive n'est pas seulement morale, elle est suicidaire. Car elle condamne la République démocratique du Congo à répéter indéfiniment le cycle de la peur et de la répression. En transformant la différence en faute, en substituant l'appartenance ethnique à la citoyenneté, le pouvoir de Kinshasa sape les fondements mêmes de la nation congolaise. Doha lui demande des comptes.
Doha face au devoir de vérité : entre médiation et exigence morale
Le Qatar, en accueillant une nouvelle fois les délégations congolaises, sait qu'il ne s'agit plus d'un simple round diplomatique. Ce n'est pas un accord de cessez-le-feu que la communauté internationale attend, mais un sursaut d'humanité.
La libération des prisonniers politiques et singulièrement de ces Tutsi congolais torturés et disparus sera le test décisif de la sincérité de Kinshasa.
Les médiateurs qataris, jusqu'ici prudents, devront désormais imposer une condition morale : aucune paix ne peut être bâtie sur la négation de la dignité humaine. Ce n'est pas un supplément d'âme, c'est le socle de toute réconciliation durable.
Doha devra donc exiger des gestes clairs, l'ouverture d'enquêtes indépendantes, la libération immédiate des détenus illégaux, la restitution des corps disparus et replacer la question des droits humains au centre du processus politique.
Le silence n'est plus une option. Si Kinshasa espère convaincre ses partenaires internationaux de sa bonne foi, elle devra se confronter à sa propre part d'ombre, reconnaître l'innommable, et rendre justice aux invisibles. Car la paix ne se signe pas dans les palais feutrés des chancelleries, mais dans la lumière que l'on rend à ceux qu'on avait condamnés à l'obscurité.
La République démocratique du Congo est à un tournant. Elle peut, à Doha, renouer avec l'espérance ou s'enfermer pour longtemps dans le déni et la honte. Le monde observe. Et dans le silence de ses prisons, les âmes suppliciées des Tutsi congolais attendent que la vérité, enfin, les délivre.

Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/Les-geoles-de-Kinshasa-ou-l-ombre-des-Tutsi-congolais-sur-la-table-de-Doha.html