
Mais, dans le même temps, son discours intérieur, porté par certains segments du pouvoir, de la presse et de l'opinion, demeure marqué par une rhétorique de défiance, de stigmatisation et de nationalisme exacerbé.
Cette dissonance stratégique, entre ouverture affichée et repli idéologique, entre posture pacificatrice et radicalisme intérieur, illustre la complexité d'un État oscillant entre les exigences de la diplomatie globale et les contraintes de sa politique domestique.
Les promesses contrariées de Doha et Washington
L'accord de Washington, signé le 27 juin 2025 sous médiation américaine, avait pour ambition d'ouvrir un cycle de désescalade durable : désarmement progressif des groupes armés, coordination sécuritaire conjointe avec le Rwanda, retour des déplacés et relance de la coopération économique régionale.
En parallèle, le processus de Doha devait constituer le pendant congolais de ce dispositif, en instaurant un dialogue direct avec l'AFC/M23. Ce second volet visait à préciser les conditions d'intégration, de réinsertion ou de reddition des combattants et à définir un mécanisme de garantie pour la sécurité des populations civiles.
Or, ce double processus est aujourd'hui suspendu dans une attente politique périlleuse. Kinshasa subordonne la poursuite des discussions à la résolution de questions sécuritaires jugées " existentielles " : retrait des présences militaires dites étrangères, clarification des responsabilités dans les zones de conflit, et reconnaissance de la souveraineté nationale sans concessions.
Cette prudence, si elle se comprend dans le contexte d'une mémoire traumatique des ingérences régionales, finit néanmoins par nourrir l'impression d'un immobilisme diplomatique, où la négociation devient un horizon plus qu'un instrument.
Le radicalisme intérieur comme symptôme politique
Sur le plan intérieur, la rhétorique gouvernementale et médiatique semble parfois contredire les ambitions pacificatrices proclamées à l'étranger. Des observateurs indépendants, dont la FIDH, ont signalé la multiplication de discours stigmatisants visant les communautés d'ascendance rwandaise ou les " Tutsis congolais ".
Ces dérapages ne sont pas anecdotiques : ils constituent une mécanique politique redoutable, où la peur de l'ennemi extérieur permet de cimenter une unité nationale de façade, au prix d'une fragmentation du tissu social. L'ennemi devient le ciment du pouvoir.
Cette stratégie, souvent rentable à court terme, sape à long terme les fondements d'une paix inclusive. Car la paix ne se décrète pas depuis les chancelleries : elle se construit dans les esprits, par la désactivation des haines et la restauration de la confiance entre citoyens.
Une diplomatie aux prises avec ses contradictions
En diplomatie, la crédibilité repose sur la cohérence. Or, la RDC s'expose aujourd'hui à une érosion de confiance : ses partenaires internationaux s'interrogent sur la constance de sa parole. Lorsque les engagements signés à Washington ou à Doha se heurtent aux discours vindicatifs relayés dans les médias de Kinshasa, la bonne foi diplomatique paraît incertaine.
Cette ambiguïté affaiblit également l'autorité intérieure du pouvoir, qui, à force d'instrumentaliser la peur et la menace, risque d'épuiser les ressorts moraux de son propre récit national.
Le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, a réaffirmé en août 2025 que l'accord de Washington n'entrerait pleinement en vigueur qu'après la conclusion du processus de Doha. Mais ce renvoi permanent à un futur indéterminé traduit l'essoufflement d'une diplomatie devenue performative : elle parle la paix, mais n'en accomplit pas les gestes.
De la rhétorique à la réalité : vers une nécessaire refondation de la parole d'État
La RDC ne pourra pas éternellement maintenir ce double langage, oscillant entre la recherche de légitimité internationale et la manipulation des tensions internes.
Si les processus de Doha et de Washington doivent avoir un sens, ils exigent plus qu'une signature : une conversion sincère de la parole publique en action cohérente.
À défaut, Kinshasa continuera d'habiter cette zone grise entre paix proclamée et guerre entretenue, entre diplomatie théâtrale et politique du soupçon.
La RDC se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins : elle peut choisir de s'émanciper du récit de la peur pour entrer pleinement dans celui de la responsabilité historique.
Mais tant que la diplomatie sera utilisée comme vitrine d'un pouvoir qui, à l'intérieur, alimente la fragmentation nationale, la paix demeurera un mot d'ordre sans chair.
Il ne suffit plus de parler à Washington ou à Doha : il faut apprendre à parler vrai à Kinshasa.

Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/Entre-murmure-des-accords-et-vacarme-des-armes.html