Machetocratie : un système que le monde a ignoré #rwanda #RwOT

webrwanda
0

L'Holocauste nous a donné " le meurtre bureaucratique ", le génocide arménien a donné " la déportation comme destruction ", le régime khmer rouge cambodgien a donné " l'auto-génocide ", et le génocide contre les Tutsi au Rwanda a offert au monde un nouvel ordre politique glaçant : la machetocratie.

J'ai forgé ce mot à partir de " machette ", dans la même lignée linguistique qui nous donne " bureaucratique " à partir de " bureaucratie " ou " démocratique " à partir de " démocratie ". Ce mot capture un système entier de domination, d'autorité, d'idéologie et de violence ancré dans un seul symbole : la machette.

Pour les architectes du pouvoir Hutu, la machette était plus qu'un simple outil ; c'était un insigne d'émancipation politique et l'instrument choisi pour ce qu'ils appelaient ouvertement la " solution finale " au problème inventé des Tutsi. Le magazine Kangura (n°26) de novembre 1991 lui accordait même une place prophétique, en affichant une machette en couverture et en posant rhétoriquement une question glaçante : " Quelles armes allons-nous utiliser pour écraser définitivement les cafards ? ".

Ainsi, la machetocratie désigne quelque chose de plus profond que les meurtres physiques de 1994 : elle désigne une vision du monde dans laquelle l'autorité politique s'acquiert, s'exerce, se développe et se justifie par la capacité à commettre un extermination intime, face à face.

Mais la machetocratie ne s'est pas arrêtée aux barrages routiers. Elle a muté, évolué et est devenue globale. Et aujourd'hui, ses praticiens les plus dangereux ne sont plus ceux qui aiguisent les lames, mais ceux qui aiguisent les mots.

Comprendre les premiers machetocrates

Pendant le génocide contre les Tutsi, la machette est devenue l'outil " démocratique " du pouvoir Hutu pour un nationalisme excluant. Elle transforma des civils ordinaires en exécuteurs de masse, en partie par coercition, en partie par endoctrinement, et en partie par la théologie politique du pouvoir Hutu qui présentait le meurtre comme un devoir civique.

Beaucoup de bourreaux décrivaient la machette comme " l'arme du peuple ", un symbole d'émancipation, un passeport pour l'appartenance. Elle suscitait un sentiment de fierté. La machette créait une nouvelle hiérarchie sociale : les meurtriers de masse étaient des patriotes. Ceux qui résistaient ou hésitaient étaient des traîtres. Les Tutsi assassinés étaient le poison de la nation.

C'était la forme pure de la machetocratie : une communauté politique définie par sa volonté de tuer. Les Interahamwe n'étaient pas de simples milices ; ils étaient les soldats idéologiques d'une utopie raciale. Partout dans le pays, ils régnaient sur les rues et les collines selon la logique de la lame.

Leur gouvernance machetocratique était directe, ininterrompue, non médiatisée et participative. Une sorte de tyrannie intime dans laquelle des prêtres transformaient des sanctuaires en abattoirs, des voisins massacraient leurs voisins, et des enseignants tuaient leurs élèves.

La machetocratie n'était donc pas simplement une méthode de meurtre. C'était une forme de citoyenneté. Une citoyenneté enracinée dans le crime. Une identité nationale. Une orthodoxie politique dans laquelle la machette devenait l'instrument constitutionnel absolu. Mais la machetocratie n'a pas disparu lorsque les tueries ont pris fin. Elle a simplement changé de forme.

Des lames aux livres

Après 1994, la machetocratie a muté ou métastasé en une force nouvelle et plus sophistiquée : les machetocrates intellectuels.

Ces nouveaux praticiens ne se tenaient pas aux barrages routiers. Ils ne brandissaient pas de lames. Ils ne creusaient pas de fosses communes. À la place, ils manient ordinateurs, micros, contrats d'édition, plateformes médiatiques et prétentions académiques. Ils ont réinventé la machetocratie par le discours, transformant l'idéologie génocidaire en érudition, la propagande en journalisme d'investigation et la haine en " recherche critique ".

Charles Onana, Judi Rever et le père Serge Desouter, entre autres, sont devenus les grands prêtres de cette machetocratie post-génocide. Ils ont reconditionné les vieux dogmes du pouvoir Hutu dans une prose française ou anglaise soignée, les ont recouverts de notes de bas de page à la source douteuse, et ont offert au monde exactement ce dont les génocidaires avaient besoin : l'exonération déguisée en analyse.

Leurs machettes ne sont pas forgées dans l'acier, mais dans des phrases et des paragraphes. Leurs barrages ne sont pas posés sur des routes de terre, mais dans l'esprit de lecteurs ignorants. Leurs victimes ne sont pas seulement les Tutsi, mais la vérité elle-même. Là où les machetocrates originels éliminaient physiquement les corps tutsi, les machetocrates intellectuels cherchent à effacer la mémoire des Tutsi.

Une confirmation dramatique de cette évolution est survenue en 2024 : un tribunal parisien a condamné Charles Onana et son éditeur pour négation et minimisation publiques du génocide contre les Tutsi de 1994. Le jugement a déclaré que son livre de 2019 Rwanda, la vérité sur l'opération Turquoise - Quand les archives parlent constituait un " déploiement effréné de l'idéologie négationniste ".

Onana a été condamné à une amende de 8 400 €, tandis que son éditeur a reçu des sanctions supplémentaires et des dommages et intérêts. Il est en effet important de noter que le tribunal de Paris a qualifié certains passages du livre de " distorsion grossière " et de " banalisation " des faits du génocide.

Cette condamnation légitime est historique, la première en France visant la négation du génocide rwandais. Elle reconnaît que le machetocrate moderne ne manie peut-être pas de lame, mais que sa " machette ", sous la forme de rhétorique virulente, de livres et de vernis intellectuel, peut être jugée tout aussi coupable devant la loi.

Sur les écrans de télévision, le monde reconnaît immédiatement un homme avec une machette comme un assassin. Mais il peine à reconnaître un homme avec un livre comme complice.

C'est pourquoi les nouveaux machetocrates sont peut-être plus dangereux que les originaux aux barrages routiers : premièrement, leur arme dangereuse est propre, portable et facilement exportable. Une machette tue une personne à la fois, mais un livre négationniste tue la vérité à travers les générations et les continents.

Deuxièmement, les nouveaux machetocrates offrent une couverture idéologique aux futurs tueurs. Les barrages de demain ne seront pas seulement inspirés par Kangura ou la RTLM, mais par les mensonges " respectables " d'Onana, de Rever et d'autres. Leurs récits fournissent aux futurs machetocrates une justification morale. Troisièmement, ils effacent la culpabilité et fabriquent l'innocence. Il est évident qu'en transformant les criminels en victimes et les victimes en coupables, ils suscitent de la compassion pour les génocidaires et du soupçon envers les survivants.

Quatrièmement, ils mondialisent l'idéologie génocidaire. Alors que les images des Interahamwe maniant la machette restent au Rwanda, un PDF empoisonné voyage dans le monde en quelques secondes. Enfin, leur récit s'introduit dans les universités, les think tanks et la société bien-pensante. Cela leur confère une légitimité que les véritables génocidaires n'ont jamais eue.

Les machetocrates originels étaient visibles avec leurs lames ensanglantées. Les nouveaux sont camouflés. Et puisque le monde fait aveuglément confiance à quiconque est publié par une maison d'édition occidentale, ces machetocrates intellectuels peuvent accomplir ce que les Interahamwe n'auraient jamais pu faire : créer des audiences mondiales et des marchés sympathisants pour une idéologie génocidaire.

La difficulté de traquer les négationnistes et pourquoi cela importe

Une des forces terribles de la négation moderne du génocide réside dans son ambiguïté structurelle. Contrairement aux campagnes médiatiques de masse des années 1990, émissions radio, pamphlets, unes de journaux, une grande partie du contenu négationniste actuel circule dans des livres obscurs, de petites maisons d'édition, des sites web marginaux ou des actes de conférences peu documentés. Les archives sont rares ; les documents officiels fragmentaires. Cette opacité n'est pas accidentelle, elle fait partie de la tactique. Elle aide les négationnistes à échapper à toute responsabilité, à obscurcir les preuves et à maintenir une négabilité plausible.

La condamnation d'Onana en 2024 illustre ce défi. Il a fallu une action en justice formelle, un processus judiciaire détaillé et un tribunal prêt à qualifier la " négation par texte " de crime. Le fait que de nombreux ouvrages négationnistes restent non poursuivis, non parce qu'ils sont inoffensifs, mais parce qu'ils sont difficiles à tracer, documenter et poursuivre en justice. met en lumière le danger structurel de la machetocratie intellectuelle.

Cette difficulté doit servir à la fois de mise en garde et d'appel à l'action. Les mémoriaux, archives, organisations de défense des droits humains, bibliothèques et universités doivent traiter la littérature négationniste comme ils traitent les archives de propagande militante. Les livres négationnistes doivent être collectés, indexés, catalogués et mis à disposition pour un examen critique. Le silence ou la négligence est exactement ce sur quoi compte le machetocrate moderne.

Plus les machetocrates deviennent sophistiqués, plus ils encouragent les futurs meurtriers de masse. Lorsque les négationnistes justifient les pogroms passés contre les Tutsi, ils font bien plus que blanchir l'histoire. Ils envoient un message clair aux futurs fanatiques : " Tuer des Tutsi est très compréhensible. " " L'histoire de leur extermination a été exagérée. " " Après tout, tuer des Tutsi était peut‑être même nécessaire. " Et donc : " Cela pourrait se reproduire. "

Les gens ne devraient pas considérer cela comme théorique. C'est un danger réel dont les conséquences sont mortelles. Premièrement, cela encourage les héritiers idéologiques. Les mouvements de haine en RDC, la rhétorique anti‑Tutsi et les appels au nettoyage ethnique s'inspirent directement de la littérature révisionniste produite à l'étranger. Les récits des négationnistes offrent un plan pseudo‑intellectuel.

Deuxièmement, cela vise à réhabiliter les génocidaires. Lorsque les négationnistes transforment des meurtriers de masse en patriotes incompris, ils convertissent l'idéologie génocidaire en une identité politique durable.

Troisièmement, cela contribue à normaliser le langage de l'extermination. Chaque affirmation de " double génocide ", chaque théorie du complot, chaque inversion entre victime et bourreau rapproche des machettes bien affûtées des mains de futurs tueurs.

Quatrièmement, cela enseigne aux futurs meurtriers que le monde les écoutera avec sympathie. Si un écrivain à Paris ou à Montréal peut présenter les survivants du génocide et l'Armée patriotique rwandaise (APR), qui a mis fin au génocide, comme des bourreaux, et être invité à des conférences internationales, les génocidaires de demain peuvent se sentir protégés par l'indifférence mondiale.

Enfin, les récits négationnistes fournissent des alibis intellectuels. Tout comme la propagande nazie a préparé le terrain pour les historiens négationnistes, la propagande du pouvoir Hutu a été élevée par les négationnistes modernes au rang d'une légitimité quasi académique. Par conséquent, les machetocrates érudits d'aujourd'hui ne manient pas eux-mêmes les armes ; ils les affûtent pour la génération suivante.

La machetocratie comme système d'alerte

Le concept de machetocratie dépasse la simple créativité linguistique. Je le considère comme un outil analytique, une manière de détecter les conditions qui rendent le génocide probable et d'identifier ceux qui préparent le terrain à son retour.

Une théorie puissante de la machetocratie affirme : le crime de génocide ne nécessite pas seulement des États ; il nécessite une idéologie. Il est un fait que tuer ne se limite pas aux armes ; cela exige aussi une croyance. Il faut reconnaître que la négation du génocide n'est pas un effet secondaire ; elle constitue une phase du même projet.

Le machetocrate, qu'il soit physique ou intellectuel, se définit par la même conviction : la vie des Tutsi n'a aucune valeur, et le monde doit tôt ou tard être amené à croire cela aussi. C'est pourquoi la machetocratie doit être considérée à la fois comme un phénomène historique et comme une menace contemporaine et existentielle.

Le génie du terme machetocratique réside dans sa clarté. Il révèle la vérité essentielle : le génocide s'exécute non seulement avec des outils, mais aussi avec des idées, et les deux sont meurtrières.

Les machetocrates originels, ceux qui tuaient avec des lames, opéraient sous l'illusion d'un salut ethnique. Leurs descendants, les machetocrates intellectuels tels que Charles Onana, Judi Rever, Jean Marie Vianney Ndagijimana, Edward S. Herman, David Peterson, Barrie Collins, Eugene Shimamungu, et bien d'autres, opèrent sous le masque de l'analyse, du journalisme ou de l'érudition. Mais leur fonction reste la même : dégager l'espace moral, idéologique et politique pour la violence à venir.

Ils légitiment la haine et blanchissent le meurtre. Ils préparent des croyants, cultivent des partisans et inspirent des imitateurs. Et à moins qu'ils ne soient nommés, contestés, enseignés et publiquement déconstruits, ils finiront par être lus par ceux mêmes qui rêvent de ressusciter les barrages routiers.

Dernier mot

Le monde et l'humanité doivent comprendre : une machette est dangereuse, mais catastrophique lorsqu'elle est soutenue par un livre ou un article. Une machette consacrée par un éditeur constitue une menace pour la civilisation. Par conséquent, la machetocratie, sous toutes ses formes, doit être étudiée, exposée et démontée avant qu'elle n'explose à nouveau en corps, os et sang.

Et jusqu'à présent, alors que les machetocrates affûtent des mots au lieu de lames, le monde s'occupe de hashtags, de selfies de conférences et d'expressions cérémonielles de " condamnation ".

L'ironie est délicieusement grotesque : les organisations internationales proclament " Plus jamais ça ", et pourtant les mêmes universitaires, journalistes et professeurs qui blanchissent, inversent et justifient le génocide sont invités à des panels, récompensés par des prix et applaudis pour leur " pensée critique ". On pourrait presque imaginer des Jeux olympiques oniriques de la négation du génocide, où les compétiteurs soumettent des dossiers d'inversion morale, affirmant que les Tutsi étaient en réalité les agresseurs, et où les juges attribuent des médailles pour l'usage le plus créatif de l'euphémisme afin de glorifier l'extermination d'un peuple.

Pendant ce temps, les survivants, les témoins et les militants de la mémoire sont traités comme des vérificateurs de faits gênants dans un théâtre d'oubli à la mode. Chaque phrase rédigée par des négationnistes connus du génocide est une machette pour l'esprit, un rappel que les mots aussi peuvent tailler la chair. Et pourtant, le monde baille.

C'est comme si la civilisation elle-même était devenue voyeuriste, fascinée par les spectacles des négationnistes, indifférente à la faillite morale exposée. Qu'il soit entendu : lire ces livres sans indignation, c'est hocher poliment la tête devant un barrage à Kigali, Nyarubuye, Ntarama ou Kibeho en 1994.

Ne pas prêter attention à leur soif de sang intellectuelle, c'est permettre à une nouvelle génération de machetocrates de sortir diplômée avec honneurs, certificats et tribunes publiques. Si l'humanité ne peut distinguer un tueur d'un tueur habilement publié, une lame d'un livre, alors tous les mémoriaux, hashtags et discours solennels ne sont que du théâtre, des accessoires décoratifs pour une civilisation qui nie sa propre incapacité morale.

Si le monde a été choqué par les machettes au Rwanda en 1994, pourquoi hausse-t-il les épaules lorsque ces mêmes machettes sont numérisées et diffusées globalement ? Le machetocrate intellectuel porte du tweed, parle dans des interviews et cite des sources, mais enseigne la même leçon : les victimes sont coupables, les auteurs justifiés, l'histoire peut être réécrite. Leurs salles de classe sont des forums, leur public, le monde entier. Chaque justification publiée, chaque podcast, chaque conférence est une leçon de barrage routier, formant la prochaine génération de tueurs.

Ils sont les moteurs intellectuels d'une idéologie génocidaire continue, propageant les récits mêmes qui pourraient inspirer une répétition de l'histoire. Le silence, l'ignorance ou l'indulgence est complicité. Les nommer, les citer pour exposer leur venin idéologique est un acte de prévention, non de vengeance.

Le monde doit traiter les machetocrates modernes comme il a traité leurs prédécesseurs : avec vigilance, éducation et clarté morale publique. Que les mémoriaux montrent leur visage, que les salles de classe analysent leurs mots, que chaque citoyen comprenne que la négation n'est pas une opinion, c'est un enseignement de l'atrocité.

La machette a peut-être changé de forme, mais la main qui la guide, maintenant en train de taper et de publier, reste tout aussi létale. La survie de l'humanité dépend de la reconnaissance du continuum machetocratique : les lames physiques et les lames intellectuelles sont les deux faces d'une même pièce meurtrière.

Par nécessité, le monde doit traiter les machetocrates intellectuels comme des facilitateurs de crimes futurs. Un changement de paradigme est indispensable : la négation du génocide est une complicité, non un commentaire. La justification du génocide n'est pas une liberté d'expression mais une facilitation du crime. La littérature négationniste n'est pas de la recherche, c'est un armement idéologique.

De la même manière que ceux qui ont fourni les machettes en 1994 ont été coupables de complicité de génocide, ceux qui fournissent aujourd'hui les machettes idéologiques sont coupables de faciliter les violences à venir.

Si un Interahamwe se tient à un barrage avec une machette, il est un tueur. Si une femme canadienne blanche écrit un livre affirmant que les tueurs au barrage se défendaient, elle recrute pour le prochain barrage. Il est temps que les médias, le monde académique, les institutions de défense des droits humains et le droit international reconnaissent ce continuum.

Mes semblables, tous ceux qui se soucient de la prévention des génocides, réveillez‑vous. Les machetocrates ne sont pas en route. Ils sont déjà là, confortablement installés dans les bibliothèques et les librairies, invitant le monde à se joindre à eux dans le crime de l'oubli.

Le génocide contre les Tutsi au Rwanda a offert au monde un nouvel ordre politique glaçant : la machetocratie

Tom Ndahiro



Source : https://fr.igihe.com/Machetocratie-un-systeme-que-le-monde-a-ignore.html

Enregistrer un commentaire

0Commentaires

Enregistrer un commentaire (0)