
Dans un geste sans précédent, ce gouvernement, à peine né, se voyait déjà frappé d'obsolescence, emporté par les convulsions d'un système politique à bout de souffle.
En acceptant la démission de son chef de gouvernement, Emmanuel Macron entérine une crise institutionnelle d'une gravité extrême, non plus une simple turbulence parlementaire, mais un effondrement de la cohérence politique de l'État.
Ce troisième gouvernement en moins d'un an aura été le plus éphémère de la Ve République : un cabinet de l'instant, foudroyé avant même d'avoir pris ses marques. La coalition dite du " socle commun ", laborieusement assemblée dans un climat de défiance généralisée, s'est fissurée à peine l'encre des décrets de nomination séchée.
A droite, Bruno Retailleau, patron des Républicains, pourtant reconduit au ministère de l'Intérieur, dénonçait une équipe " contraire à la rupture promise ", tandis que ses propres instances étaient convoquées d'urgence. Le retour, jugé provocateur, de Bruno Le Maire aux Armées, symbole pour la droite d'une décennie d'errances budgétaires et de compromissions technocratiques, a achevé d'enflammer les esprits.
Les macronistes, eux-mêmes, pressentaient la débâcle. Certains, dès la veille, évoquaient déjà le retrait des Républicains du gouvernement. Dans les rangs de l'opposition, l'indignation se muait en sarcasme : " recyclage ", " provocation ", " déni de démocratie " autant de formules qui témoignent de l'exaspération d'un pays las d'un pouvoir qui tourne sur lui-même.
Les extrêmes, à gauche comme à droite, réclament désormais une issue : une dissolution de l'Assemblée nationale, dernier recours face à un exécutif réduit à l'impuissance.
Car c'est bien d'un théâtre tragique qu'il s'agit : la France vit un vaudeville politique qui ne prête plus à rire. Depuis la dissolution de juin 2024, décidée dans la précipitation à la suite des élections européennes, le pays s'enfonce dans un triptyque ingouvernable gauche unie mais minoritaire, bloc macroniste désagrégé, extrême droite en embuscade.
Trois Premiers ministres : Michel Barnier, François Bayrou et Sébastien Lecornu s'y sont successivement brisés, incapables de dégager une majorité stable.
Lecornu, fidèle parmi les fidèles d'Emmanuel Macron, fin négociateur réputé pour son pragmatisme, avait pourtant tenté de renouer le fil du dialogue. Trois semaines de consultations, des promesses de compromis, et l'espoir vite éteint d'une respiration politique.
Mais tout s'est écroulé en une nuit. Le " gouvernement Lecornu ", à peine nommé, est devenu le symbole d'une République essoufflée, où les alliances se font et se défont au gré des intérêts de couloir, et où la stabilité a cessé d'être un horizon crédible. Ce n'est plus une crise passagère : c'est un psychodrame d'État, une désagrégation méthodique du lien entre gouvernants et gouvernés.
L'histoire retiendra sans doute ce funeste épisode comme la métaphore d'une fin de cycle : celle d'un macronisme vidé de sa substance, incapable de se réinventer autrement que dans la répétition de ses propres impasses.
Emmanuel Macron, omniprésent sur la scène internationale mais désemparé sur le front intérieur, se retrouve désormais seul face à l'abîme qu'il a lui-même ouvert. Le pouvoir, en France, semble aujourd'hui n'être plus qu'un mirage institutionnel : un théâtre d'ombres où se succèdent des acteurs sans rôle, des ministres sans lendemain et un président sans cap.
Ainsi s'achève, avant d'avoir commencé, le gouvernement Lecornu, mort-né, comme un symbole criant de la fatigue démocratique d'une nation qui, sous les ors de la République, ne parvient plus à se gouverner elle-même.

Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/Le-gouvernement-mort-ne-de-Sebastien-Lecornu-en-France.html