
Pendant des décennies, ces Rwandais exilés avaient vécu dans le flou, dispersés à travers l'Ouganda et d'autres pays de la région, rêvant d'un retour dans une patrie qu'ils n'avaient pas vue depuis l'enfance.
Beaucoup avaient combattu sous les ordres de Yoweri Kaguta Museveni lors de la guerre de libération ougandaise, gravissant les échelons de l'Armée de résistance nationale (NRA). Pourtant, dans leur cur, ils restaient des réfugiés : leurs familles demeuraient dans des camps, et les terres de leurs parents leur étaient toujours inaccessibles, la diplomatie n'ayant rien changé.
Au cur du rêve de la libération du Rwanda se trouvaient deux amis de longue date : Paul Kagame et Fred Gisa Rwigema. Enfants en exil, ils passaient des heures à écouter les anciens raconter les combats audacieux des premiers résistants connus sous le nom d''Inyenzi', leur imagination s'enflammant à l'évocation de récits de retour et de liberté.

Ces conversations d'enfance s'étaient transformées en une détermination ferme à mesure que les deux hommes accédaient à des postes de commandement au sein de l'armée ougandaise. Après avoir contribué à porter Yoweri Museveni au pouvoir, eux et d'autres Rwandais exilés commencèrent à façonner discrètement une mission différente : non pas pour un autre pays, mais pour le leur. Il était temps de cesser d'attendre et de commencer à aspirer à reprendre leur patrie.
Le calme avant la tempête
Selon l'historien John Burton Kegel, dans son livre " The Struggle for Liberation : A History of the Rwandan Civil War, 1990â"1994 ", la décision finale d'activer l'Option Z fut prise en septembre 1990.
À cette époque, la tension au sein de l'armée ougandaise était palpable. Le sentiment anti-rwandais s'était renforcé, et les officiers du renseignement soupçonnaient déjà que certains soldats de la NRA étaient secrètement loyaux au Front patriotique rwandais (FPR). Si le plan venait à fuiter, tout le réseau pouvait être démantelé du jour au lendemain.
La maison de Rwigema à Kampala devint silencieusement le centre des opérations. Vers le 20 septembre, de petits groupes d'officiers de confiance commencèrent à lui rendre visite sous le couvert de la nuit. Aucune réunion n'était enregistrée, aucun ordre écrit n'était laissé derrière. Chaque homme repartait avec une seule consigne : être prêt à agir à tout moment.
L'un des acteurs clés de ces réunions clandestines était le major Sam Kaka, alors commandant de la police militaire ougandaise et l'un des alliés les plus fidèles de Rwigema.
Kaka parcourait le pays en utilisant ses fonctions officielles comme camouflage, alertant discrètement les officiers rwandais présents dans des unités dispersées de la NRA â" certains stationnés à Bihanda sous Theogene Bagire, d'autres à Mbarara sous Charles Musitu, et quelques-uns intégrés au 129e Bataillon sous le commandement de Cyzia â" ne leur disant que ce qu'ils avaient besoin de savoir : le moment était venu.
Le 29 septembre, la décision fut scellée. Le retour armé n'était plus une simple aspiration : c'était désormais une date inscrite au calendrier.

Élever une armée sans armée
La RPA existait plus par loyauté que par sa structure réelle. C'était une force qui vivait au sein d'une autre armée, mais unie par un engagement plus profond. La mobilisation devait donc être improvisée.
Kegel souligne que le noyau de la force initiale provenait du Bataillon de la Police militaire de Kaka, presque entièrement composé de patriotes rwandais.
Environ cent soldats de l'unité d'élite de protection présidentielle du président Museveni se joignirent à eux, ayant été recrutés en secret par les charismatiques commandants Charles Muhire et Charles Ngoga. Trois cents autres provenaient de la 31e Brigade, dans le centre de Kampala.
Ils apportèrent ce qu'ils pouvaient transporter : fusils, munitions, bottes, et même rations alimentaires. Quelques armes plus lourdes, dont des canons anti-aériens et un lance-roquettes Katyusha, furent discrètement extraites des dépôts militaires de Bombo. Ils ne disposaient ni chars, ni artillerie, ni chaîne logistique formelle, mais avaient une détermination inébranlable.
Le soir du 30 septembre, Rwigema donna l'ordre final.

Le convoi qui glissa dans la nuit
À 2 h 30 du matin, le 1er octobre 1990, un convoi commença à sillonner les rues sombres de Kampala. C'était une armée improbable en mouvement, un assemblage de camions militaires, de minivans, d'autobus empruntés et de voitures particulières.
La police militaire de Kaka ouvrait la route pour éviter tout barrage. Chacun savait que se faire découvrir signifiait la mort ou l'emprisonnement, mais personne ne fit demi-tour.
Au fur et à mesure que le convoi avançait, les radios grésillaient sous la tension. L'équipe de communications de Rwigema resta éveillée toute la nuit, à l'écoute du moindre signe indiquant que les commandants de la NRA avaient remarqué la moindre disparition.
Puis un bref message radio arriva, relayé depuis le bureau de la présidence ougandaise : " N'ayez pas peur, si c'est Fred qui part avec ses soldats, ce n'est pas pour nous combattre. Je pense qu'il doit simplement rentrer chez lui. "
Le président Museveni était à l'étranger. À ce jour, bien que personne ne sache qui a envoyé ce message, il permit au convoi de continuer sa route, sans être inquiété, vers la frontière.
L'aube à Kagitumba
Vers 10 heures, les premiers pelotons de la RPA atteignirent le poste frontière de Kagitumba, sur la rivière Muvumba. La brume matinale enveloppait la vallée. De l'autre côté de la rivière, un petit détachement de troupes du gouvernement rwandais montait la garde, ignorant que l'histoire allait bientôt croiser leur chemin.
Puis vint un moment symbolique qui résonnerait à travers l'histoire : avant de franchir la frontière, les hommes de Rwigema s'arrêtèrent et arrachèrent les insignes ougandais de leurs uniformes.
Ils entraient au Rwanda non pas en envahisseurs, mais en fils rentrant chez eux. Comme l'observe Kegel, cet acte volontaire était une déclaration claire : ce n'était pas une guerre venue de l'Ouganda, mais un éveil propre aux Rwandais.

L'incertitude du secret
La victoire à Kagitumba â" la route vers Nyagatare ayant été dégagée â" provoqua euphorie mais aussi confusion. La RPA, sortie de l'ombre, n'était encore qu'un réseau plutôt qu'une armée structurée. Les combattants arrivaient par groupes dispersés, beaucoup incertains de qui suivre ou de la teneur exacte du plan général, Rwigema et ses officiers supérieurs, tels que Kaka, Steven Ndugute et d'autres, s'efforçant de rétablir l'ordre.
À la tombée de la nuit, ils avaient constitué quatre bataillons improvisés, dirigés par Chris Bunyenyezi, Steven Ndugute, Adam Wasswa et Sam Kaka. Toutefois, ils firent face à une crise immédiate : la faim. Comme le secret avait été absolu, aucune ligne d'approvisionnement ni aucun point de ravitaillement civil n'avait été prévu. Les soldats commencèrent à réquisitionner le bétail des éleveurs locaux, laissant derrière eux des reconnaissances manuscrites promettant un remboursement après la guerre.
En outre, le secret qui avait assuré le succès révélait maintenant son coût : confusion, pénuries et commandement improvisé.


L'étincelle du destin
Ceci dit, le moral brûlait plus fort que la peur, les plans pour le lendemain étant les uns plus audacieux que les autres : pénétrer plus profondément au Rwanda, s'emparer de Gabiro, du Camp Mutara et de Nyagatare avant l'arrivée des renforts. Les combattants avançaient avec une foi plus solide que leur logistique, convaincus que la rapidité compenserait ce qui leur manquait en nombre et en approvisionnements.
Avec le recul, l'Option Z n'était pas simplement une manuvre militaire. C'était un pari fondé sur le courage, la discrétion et la conviction â" un saut calculé dans l'inconnu.
Malgré les revers initiaux, notamment la mort du général de division Fred Rwigema dès le deuxième jour de la lutte, la volonté de libérer le Rwanda ne faiblit pas.
Quelques jours plus tard, le Major Paul Kagame revenait des États-Unis, où il suivait des études militaires, pour prendre le commandement de la lutte. Il réorganisa la guerre, restaura le moral des soldats et mena la campagne qui libéra finalement le Rwanda et mit fin au génocide contre les Tutsi en 1994. L'Option Z avait réussi.
Grâce à cette victoire, une nation autrefois en ruines put renaître, retrouva son unité et traça un chemin collectif de reconstruction et de progrès.


IGIHE