Réhabiliter les chiens et autres bêtes #rwanda #RwOT

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Au Rwanda, le mot 'imbwa' (chien) compte parmi les insultes les plus méprisantes qu'on puisse adresser à autrui. À l'opposé, et pour de bonnes raisons, 'inka' - la vache - incarne la beauté, l'honneur et le prestige social. Ce contraste flagrant et irréconciliable révèle quelque chose de profond sur la manière dont le langage ne se contente pas de refléter les valeurs culturelles, les hiérarchies morales ou les préjugés historiques, mais les perpétue.

Mais les chiens, comme quiconque en a rencontré un ou a vécu avec l'un d'eux le sait, ne sont pas répugnants. Ils sont fidèles. Ils pleurent les morts. Ils protègent les plus vulnérables. Nous vivons dans un monde où des chiens détectent les explosifs et les stupéfiants, sauvent des victimes de catastrophes et offrent un soutien émotionnel aux personnes handicapées. À l'évidence, la dévalorisation métaphorique de cet animal loyal mérite d'être examinée de manière critique.

Cet article entend déconstruire la diabolisation culturelle et linguistique injuste des chiens dans la société rwandaise. S'appuyant sur des faits réels, les Écritures, l'histoire et une bonne dose de sarcasme, il nous invite à réfléchir à ce que les chiens révèlent de la moralité humaineâ€"et de ses faillites. Car si nous persistons à juger les autres au prisme de la métaphore, alors que cette métaphore soit juste. Qu'elle soit honnête. Et qu'elle soit, enfin, équitable envers le chien, et même envers les bêtes.

Le philosophe Jacques Derrida, dans sa conférence de 2002 intitulée L'Animal que donc je suis, s'est lamenté de la manière dont les humains se définissent à travers leur prétendue supériorité sur les animauxâ€"en utilisant le mot animal comme une catégorie indifférenciée et péjorative. Derrida a clairement montré que cette arrogance linguistique permet de justifier une violence qui se projette aussi bien sur les animaux que sur d'autres êtres humains (Critical Inquiry, 2002). Comme il l'a dit : " Animal est un mot que les hommes se sont donné le droit de donner. "

Examen du mot " imbwa " en kinyarwanda

Il n'est pas nécessaire d'être un linguiste chevronné pour se rendre compte que, dans la culture rwandaise, le chien est à la fois linguistiquement et moralement méprisé. Le terme kinyarwanda imbwa n'est pas un simple descripteur neutre â€" c'est une insulte, une métaphore de faiblesse, de duplicité, de honte et de désespoir.

Plusieurs exemples l'illustrent :

Premièrement, l'expression guha imbwa amaboko â€" " donner ses bras aux chiens " â€" signifie être totalement épuisé, comme si l'on se livrait physiquement à l'inutilité ou à l'abandon.

Ensuite, gutuma imbwa kurahura â€" littéralement " faire lécher les chiens en vain " ou " leur demander d'apporter le feu " â€" suggère la stérilité ou l'absence de continuité, notamment en parlant d'infertilité.

On trouve également l'expression inyana y'imbwa, c'est-à-dire " le veau d'un chien ", qui désigne une progéniture sans valeur, porteuse de honte héritée.

Les Rwandais disent : Umuntu usabiliza atabuze amaboko aba ari imbwa â€" " Celui qui mendie alors qu'il a des bras est un chien " : une manière d'assimiler la paresse à la condition canine.

On entend aussi : Kubona uneshwa n'umwana byerekana ko uri imbwa â€" " Être vaincu par un enfant prouve que tu es un chien " : une expression de lâcheté ou de pusillanimité.

Toutes ces figures de style véhiculent une représentation du chien comme une créature méprisable, bonne seulement à symboliser la honte, l'échec, la lâcheté et l'inutilité. Il ne s'agit pas de simples descripteurs innocents â€" ce sont des condamnations. Le sémioticien Roland Barthes a mis en garde contre les " mythologies " inscrites dans le langage quotidien â€" la manière dont la langue transforme l'idéologie en évidence (Mythologies, Paris : Éditions du Seuil, 1957). Dans le paysage linguistique rwandais, imbwa a été mythifiée en une anti-valeur, un terme de diffamation existentielle.

Comme l'a écrit le philosophe Ludwig Wittgenstein : " Les limites de mon langage signifient les limites de mon monde " (Tractatus Logico-Philosophicus, Routledge & Kegan Paul, 1922).

Si nous condamnons une créature par le langage, nous définissons les limites de l'empathie, de l'éthique et de la justice à son encontre.

L'" imbwa " idéologique dans la déshumanisation

Ces schémas linguistiques ne sont pas innocents. Ils jouent un rôle crucial dans la formation des attitudes sociales et même des idéologies politiques. Lors du génocide contre les Tutsi en 1994, les mots imbwa z'Abatutsi â€" " chiens Tutsi " â€" étaient systématiquement utilisés dans les discours de haine diffusés par la RTLM et d'autres médias extrémistes pour désigner les Tutsi comme répugnants. Ce langage faisait partie intégrante du processus de préparation psychologique à l'extermination de masse.

Comme l'a soutenu la linguiste Deborah Cameron, " Le langage n'est jamais un simple miroir de la réalité ; il fait partie du système par lequel la réalité est construite " (Verbal Hygiene, Londres : Routledge, 1995). Traiter quelqu'un de chien ne consiste pas seulement à l'avilir, mais à instaurer un ordre social dans lequel son élimination devient concevable, voire souhaitable.

George Orwell, dans son essai Politics and the English Language (1946), mettait en garde : " Si la pensée corrompt le langage, le langage peut aussi corrompre la pensée. " La rhétorique génocidaire du Rwanda en est une illustration tragique. La corruption de la pensée commence par la métaphore.

Le fait que ce langage persiste dans les expressions quotidiennes, même des décennies après le génocide, devrait alarmer toute personne soucieuse de la consolidation de la paix et de la réconciliation nationale. Il est essentiel de se rappeler â€" et d'accepter â€" que les mots ne sont pas de simples récipients inertes de sens : ce sont des armes idéologiques ou des boussoles morales.

Il est tout aussi important d'observer cette tendance et de la comparer au traitement réservé aux chiens dans d'autres sociétés. Dans une grande partie des Amériques et de l'Europe, les chiens sont considérés comme les " meilleurs amis de l'homme ". Ils sont les symboles de la loyauté, du courage et de l'amitié. Dans la mythologie grecque antique, le chien à trois têtes Cerbère garde les portes des Enfers. En Égypte, Anubis â€" la divinité à tête de chacal â€" présidait à l'embaumement et à l'au-delà, occupant un statut divin majeur.

Même dans les traditions islamiques, où les chiens sont considérés comme rituellement impurs, ils ne sont pas pour autant méprisés. Les chiens de garde, de chasse ou de troupeau sont vus comme faisant partie de l'ordre naturel voulu par Dieu. Un ami m'a rapporté qu'un récit du Saint Coran évoque les " Gens de la Caverne ", accompagnés d'un chien fidèle pendant leur exil religieux.

Dans l'astrologie chinoise, les personnes nées l'année du Chien sont réputées incarner la loyauté, l'intégrité et la fiabilité. Dans le zoroastrisme, les chiens sont considérés comme des protecteurs spirituels des morts. Ces associations traduisent ce que l'éthicienne Mary Midgley appelait une " révérence morale pour le non-humain " â€" une révérence absente dans les cultures qui diabolisent les animaux par le langage (Animals and Why They Matter, Athens : University of Georgia Press, 1983).

L'éthologiste Konrad Lorenz, père de la biologie comportementale moderne, écrivait : " La fidélité d'un chien est un don précieux. Elle impose des obligations morales aussi contraignantes que l'amitié d'un être humain. " (Man Meets Dog, Methuen, 1954). Le contraste avec la manière dont les êtres humains se traitent entre eux lors des génocides ne saurait être plus saisissant.

Comme démontré précédemment, les idiomes linguistiques rwandais véhiculent une vision singulièrement négative du chien â€" une vision si profondément ancrée qu'elle a fini par contaminer même la philosophie morale. Mais cette perception n'est pas seulement injuste ; elle est intenable à la lumière du comportement réel des animaux.

En comparaison, les pires atrocités de l'histoire â€" des génocides bibliques à la Shoah, en passant par le génocide contre les Tutsi â€" n'ont pas été perpétrées par des chiens, mais bien par des êtres humains. Certains portaient même des robes sacerdotales ou des toges de docteurs.

Un spectacle de répulsion et de loyauté à Gitarama

Vers la fin du mois de juin 1994, je suis tombé sur une maison dans l'ancienne préfecture de Gitarama, non loin de Ntenyo. Ce que j'y ai vu n'était pas seulement une preuve du génocide, mais un véritable théâtre de la cruauté â€" une symphonie du mal soigneusement orchestrée, conçue non seulement pour ôter la vie, mais pour dépouiller de toute dignité.

La victime était une femme tutsie âgée. Ses bourreaux â€" non pas des bêtes, mais d'autres Rwandais â€" avaient maîtrisé l'art de la mort lente. Ils ne lui ont ni tranché la gorge ni fracassé le crâne. Non, cela aurait été trop rapide, trop clément. À la place, ils lui ont tranché le bras gauche à l'aisselle, le détachant de l'épaule.

Puis, ils lui ont sectionné la jambe droite au niveau du genou, la laissant pendre horriblement. Elle était désormais totalement immobile, déséquilibrée â€" incapable de ramper ou d'appeler à l'aide. Ses meurtriers l'ont abandonnée là, livrée à une lente agonie, prisonnière de son propre corps. Elle n'est pas morte dans un déchaînement de haine. Elle est morte lentement, sans espoir, seule.

Du moins, le croyaient-ils. Son chien â€" une créature simple et loyale â€" avait été enfermé avec elle dans la maison. Les tueurs avaient supposé qu'il finirait par la dévorer, poussé par la faim. Ils pariaient sur son estomac contre son amour. Mais lorsque nous sommes entrés dans la maison, plus de deux mois plus tard, la scène a démenti toutes les allégories que nous avons jamais projetées sur les chiens et les animaux.

Là gisait le squelette de la femme. À ses côtés, celui du chien. Aucun os déplacé. Ils étaient morts ensemble. Le chien avait refusé de manger son amie. Il avait choisi la faim plutôt que la trahison.

Alors, posons de nouveau la question : qui était l'imbwa ? Ceux qui ont démembré une vieille femme avec un sadisme chirurgical ? Ou la créature qui est restée à ses côtés, fidèle jusqu'au bout ? Si le Rwanda utilise encore le mot " chien " comme une insulte, alors ce moment â€" cette scène simple et bouleversante â€" devrait nous pousser à réfléchir.

Comparez cela aux actes des humains pendant cette même période : des tueurs ont trahi leurs filleuls, leurs voisins, leurs amants, leurs propres parents. Des prêtres ont livré leurs fidèles. Des médecins ont empoisonné leurs patients. Des amis ont conduit leurs amis à la mort. Dans cet abîme moral, le chien est resté fidèle. Alors posez-vous la question : qui, en vérité, est l'animal ? Qui, entre le chien et l'homme, s'est montré moralement supérieur ?

L'injustice de qualifier les meurtriers d'" animaux "

Dans le Rwanda d'après-génocide, il existe une autre forme de crime linguistique envers les animaux : la tendance à qualifier les génocidaires les plus cruels d'" animaux ", ou inyamaswa. Mais est-ce exact â€" ou même juste pour les animaux ?

Examinons les faits. Les animaux ne commettent pas de génocide. Ils tuent pour se nourrir ou se défendre, jamais par haine ethnique. Les carnivores n'orchestrent pas de campagnes d'extermination contre les leurs. Les lions ne massacrent pas d'autres lions en raison de leurs rayures ou de leur appartenance clanique. Même les hyènes ne traînent pas d'autres hyènes dans des fosses communes.

Et pourtant, ce sont les humains â€" ces êtres censés incarner le sommet de la raison morale â€" qui ont conçu chaque génocide de l'histoire.

Les gens se souviennent-ils des génocides bibliques ? J'en doute fort. Le prétendu " Dieu d'amour " de l'Ancien Testament ordonne à maintes reprises l'anéantissement total de peuples entiers â€" hommes, femmes, enfants et bétail. La destruction de Jéricho (Josué 6), l'extermination des Amalécites (1 Samuel 15:3), ou encore l'élimination complète des Madianites (Nombres 31) ne sont que quelques exemples de mandats divins de purification ethnique.

Une autre preuve est le terrible déluge biblique. L'histoire de l'arche de Noé demeure un véritable cauchemar. Imaginez : Dieu inonde la Terre entière, n'épargnant qu'une seule famille et une sélection d'animaux â€" ce qui ne peut être décrit que comme un génocide divin. Oui, ordonné par nul autre que Yahweh. Une planète entière submergée. Bébés, vieillards, arbres â€" et oui, animaux â€" tués en masse. Leur seul crime ? Coexister avec les humains. Si l'arche de Noé a sauvé quelques-uns, ce n'est certainement pas grâce à ceux qui ont bâti leur théologie sur un génocide planétaire (Genèse 6-9).

Les saintes écritures racontent aussi une autre histoire : Sodome et Gomorrhe. Le feu et le soufre sont tombés du ciel tels un napalm divin. Toute créature présente dans la région â€" bipède, quadrupède ou ailée â€" a péri. Tout cela à cause des péchés humains. Qui est blâmé ? Les villes. Qui est brûlé ? Les ânes, les chiens, les pigeons. Le crime ? La corruption morale. La solution ? L'anéantissement total dans l'enfer ordonné par le ciel (Genèse 19).

Les croisades : des fanatiques religieux ont mené des guerres saintes, massacrant Juifs, Musulmans et même chrétiens d'Orient. Ces croisés n'étaient pas des animaux aux dents acérées ni des serpents venimeux, mais des prêtres en robes, pourvus d'une langue encore plus tranchante.

L'Inquisition : torture systématique et exécution des " hérétiques " â€" encore une fois par des humains, non par des loups ou des léopards.

Le Troisième Reich : la Shoah â€" la forme la plus mécanisée de génocide jamais conçue â€" fut l'œuvre de l'ingéniosité humaine, non d'un instinct bestial.

Les Amériques, l'Australie et au-delà : l'extermination des peuples autochtones, notamment le génocide en Tasmanie où des groupes aborigènes entiers furent chassés jusqu'à l'extinction, n'a pas été causée par des serpents, des scorpions, des virus, des lions ou des guépards, mais par des colons armés de fusils et porteurs d'une idéologie raciste. Plus largement en Australie, les massacres, empoisonnements et déportations forcées étaient des méthodes étatiques de destruction culturelle et physique.

Durant la tristement célèbre traite transatlantique des esclaves, plus de 12 millions d'Africains furent déportés à travers les océans par des nations chrétiennes, enchaînés et entassés comme du fret. Des millions moururent en chemin ou dans les plantations brutales. Les architectes de cet enfer n'étaient pas des tigres, mais des marchands, des monarques et des missionnaires.

Ces faits historiques devraient inciter les humains à cesser de diaboliser les animaux pour des péchés qu'ils n'ont jamais commis. La prochaine fois que quelqu'un dira " Il s'est comporté comme une bête ", la phrase plus juste serait peut-être : " Il s'est comporté comme un humain dépourvu de conscience. "

Réorienter le sens d'" imbwa " et retrouver notre humanité

Sincèrement, les chiens méritent un meilleur nom. Il est temps de revoir nos comparaisons et de réviser notre dictionnaire. Si un chien peut rester fidèle au cœur du génocide, alors que des humains deviennent des bourreaux, qui est donc la véritable bête ?

Nous avons assurément besoin d'un nouveau lexique â€" un lexique qui reflète la réalité et la morale, non les préjugés et les projections. Il faut : cesser d'utiliser imbwa comme une insulte, abandonner les métaphores animales qui déshumanisent à la fois les animaux et les humains, et éduquer les enfants à comprendre que la valeur morale ne dépend pas de l'espèce.

Dans la mémoire nationale rwandaise, il est nécessaire de documenter des histoires comme celle du chien fidèle de Gitarama, dans le cadre de la commémoration du génocide.

Le langage évolue. Les cultures changent. Les sociétés se reconstruisent. Le Rwanda s'est transformé à bien des égards depuis 1994 â€" mais la métaphore du chien persiste, telle une blessure qui n'est pas cicatrisée. Il est temps maintenant de la guérir.

Le petit mensonge blanc des chiens, en souvenir de celui de Gitarama en 1994, nous enseigne quelque chose sur nous-mêmes.

Les chiens â€" contrairement à nous â€" ne tuent pas pour le plaisir. Ils ne fabriquent pas de propagande haineuse à la manière d'Adolf Hitler, des régimes meurtriers de Grégoire Kayibanda ou de Juvénal Habyarimana. Ils ne volent pas, ne trahissent pas leurs proches. Ils ne violent ni n'asservissent.

Peut-être que leur plus grande leçon réside moins dans ce qu'ils font que dans ce qu'ils refusent de faire. Un chien ne vendra pas son maître pour trente pièces d'argent. Il n'abandonnera pas un blessé. Il ne participera pas à une extermination.

Les humains, en revanche, possèdent un sombre génie pour la cruauté organisée. De la traite transatlantique des esclaves aux bombardements atomiques, de la ghettoïsation aux chambres à gaz, des machettes et grenades à la propagande virulente â€" notre mal est industriel, institutionnel et idéologique.

Ainsi, quand un chien refuse de manger son maître mourant, ce n'est pas qu'une anecdote. C'est un défi théologique. Il force l'humanité, et tout particulièrement les chrétiens, à se demander : qui porte vraiment l'image de Dieu ?

Le théologien du XXᵉ siècle Abraham Joshua Heschel a écrit un jour : " L'opposé du bien n'est pas le mal, c'est l'indifférence. " (The Prophets, Harper & Row, 1962). Mais les animaux ne sont pas indifférents. Ils pleurent. Ils protègent. Ils se souviennent. Ce ne sont pas seulement les humains qui forment des communautés morales.

Vos Honneurs de la Grande Cour Morale de l'Histoire, permettez-moi de présenter mes plaidoiries finales au nom de l'accusé â€" à savoir le règne animal.

D'abord, mettons fin au mensonge selon lequel les génocidaires seraient " comme des animaux ". Aucun animal n'a jamais conçu des chambres à gaz. Aucune bête n'a jamais élaboré une idéologie de suprématie raciale. Les meurtriers les plus efficaces de l'histoire ont marché sur deux jambes, cité les Écritures et obtenu des diplômes universitaires. Par ailleurs, comme il a été révélé, le dossier divin n'est pas exempt de taches.

Revenons au Rwanda, avant et pendant le génocide de 1994. Tandis que des docteurs comme Ferdinand Nahimana et Léon Mugesera alimentaient la haine avec éloquence, et que des colonels comme Bagosora planifiaient avec précision la logistique de l'extermination, ce furent des membres du clergé â€" hommes et femmes de Dieu â€" qui enfermèrent des paroissiens tutsis dans les églises et firent venir des bulldozers. Pendant ce temps, les chiens hurlaient de douleur, ils ne chantaient pas la mort.

Et pourtant, nous en sommes là : nous traitons les meurtriers " d'animaux " et les chiens innocents d'imbwa â€" un terme de répulsion. Et si le véritable scandale était que ces prétendues bêtes étaient de meilleurs humains que certains humains eux-mêmes ?

Alors je dis : épargnons les animaux, poursuivons les métaphores, et réhabilitons le chien. Car si la loyauté, l'innocence et la cohérence morale ont encore un sens, alors il est peut-être temps que le tribunal du langage prononce un acquittement attendu depuis trop longtemps.

Comme l'a soutenu le primatologue Frans de Waal : " Nous ne sommes pas séparés du règne animal ; nous en faisons partie. Nous n'avons pas besoin de la religion pour nous dire ce que nous partageons déjà avec eux : la compassion, l'équité, la loyauté " (The Age of Empathy : Nature's Lessons for a Kinder Society, Harmony, 2009).

L'écoféministe Carol J. Adams ajoute : " Les animaux ne sont pas sans voix. Ils sont délibérément réduits au silence " (The Sexual Politics of Meat : A Feminist-Vegetarian Critical Theory, Continuum, 1990). Au Rwanda, ce silence se manifeste aussi linguistiquement, à travers les idiomes et le langage courant. Il est grand temps que les sans-voix se fassent entendre.

Si les bêtes n'ont jamais construit de chambres à gaz ni largué de bombes atomiques sur des civils, peut-être méritent-elles mieux que l'exil métaphorique.

Conclusion

Le langage est un pouvoir. Il peut blesser, libérer, endoctriner ou racheter. Depuis trop longtemps, la culture rwandaise utilise le mot imbwa pour signifier échec, saleté ou trahison. Mais le chien de Gitarama â€" et des milliers d'autres comme lui â€" dément cette calomnie.

Réhabiliter le terme imbwa ne consiste pas seulement à être impartial envers les chiens. C'est reprendre la boussole morale de la langue kinyarwanda elle-même. Ce faisant, nous retrouvons quelque chose de plus profond : notre humanité.

Je vous soumets humblement que la prochaine fois que vous entendrez quelqu'un traité d'imbwa, demandez-vous : a-t-il fait preuve de plus de loyauté que son accusateur ? A-t-il gardé la vérité, refusé de trahir, soutenu un proche ou un ami blessé ? Si oui, peut-être qu'être traité d'imbwa n'est pas une insulte, mais un compliment mal compris.

Changeons, nous Rwandais, le sens du mot. Changeons le mot. Changeons-nous nous-mêmes.

Si les chiens pouvaient parler, ils nous diraient que la fidélité n'est pas de la naïveté, que le courage n'est pas bruyant mais silencieux. Et que l'amour se manifeste dans les moments de peur et de désespoir extrêmes. Ils diraient : " Nous n'avons pas inventé le génocide. C'est vous qui l'avez fait. Et pourtant, vous nous insultez. "

Si je puis me permettre, le premier pas vers une véritable humanité est de cesser de nous comporter pire que les animaux que nous insultons si facilement.

Je n'ai plus rien à ajouter.

Au Rwanda, le mot 'imbwa' (chien) fait partie des insultes les plus méprisantes. Pourtant, cet animal n'est pas répugnant. Il est fidèle, pleure les morts et protège les plus vulnérables

Tom Ndahiro



Source : https://fr.igihe.com/Rehabiliter-les-chiens-et-autres-betes.html

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