
Ces violences canalisées dans un discours de haine et de déshumanisation irriguée par les plus hautes autorités et leurs relais, se traduisent par des assassinats massifs, des actes de cannibalisme, des arrestations arbitraires, des viols, la destruction de villages entiers.
Face à cette tragédie, un Collectif d'avocats a été constitué en 2017. Celui-ci rassemble des juristes établis en République démocratique du Congo, certains contraints à la clandestinité pour des raisons de sécurité, et agit dans le cadre de mandats judiciaires formellement confiés par les victimes.
Depuis sa création, le Collectif documente avec une rigueur méthodologique incontestable les violations graves et répétées des droits humains perpétrées contre ces communautés. Les éléments recueillis, témoignages directs de victimes et de témoins, informations d'organisations locales, preuves visuelles et données provenant des camps de déplacés, établissent des raisons suffisantes de croire que des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, et possiblement des crimes de génocide ont été commis en RDC.
La qualification de ces faits relève évidemment des autorités judiciaires compétentes, mais la densité des preuves accumulées autorise une telle hypothèse.
L'action du Collectif s'appuie sur un réseau de centaines d'observateurs enracinés dans les régions martyrisées de l'Est congolais. Il bénéficie également de la collaboration de confrères européens, notamment Me Bernard et Brieuc Maingain (Bruxelles) ainsi que Me Léon Lef Forster (Paris).
Faute de suites judiciaires en RDC, le Collectif a saisi des instances régionales ainsi que le Procureur de la Cour pénale internationale. Malgré les menaces et intimidations, il poursuit la documentation des crimes et le dépôt de plaintes, convaincu que seule une action judiciaire rigoureuse permettra de briser le cycle de l'impunité.
Au Nord-Kivu, l'arrivée de l'Alliance Fleuve Congo AFC/M23 a conduit à une relative amélioration de la sécurité pour les populations tutsies. Ce contexte pourrait favoriser la reprise de médiations intercommunautaires, déjà expérimentées dans le passé, et susceptibles de rétablir une culture de respect mutuel et de coexistence pacifique.
A l'inverse, dans les Hauts-Plateaux du Sud-Kivu, les Banyamulenge continuent de subir une répression accrue, menée par les Wazalendo et les FDLR, avec l'appui des FARDC et de l'armée burundaise. En Ituri, les Hema sont de nouveau visés sous l'accusation fallacieuse de soutenir la rébellion de Thomas Lubanga, ce qui a conduit à la distribution d'armes aux milices Codeco et au renforcement de leurs liens avec les FARDC dans une stratégie de nettoyage ethnique.
Le Collectif a récemment recueilli des témoignages inédits de combattants FDLR confirmant l'existence de livraisons d'armes en provenance de Kinshasa, l'organisation interne de ce groupe et son projet explicite d'extermination des Tutsi ainsi que de déstabilisation du Rwanda. Ces éléments, d'une gravité exceptionnelle, seront transmis à la communauté internationale.
Situation des Banyamulenge des Hauts et Moyens Plateaux de Minembwe
Les Hauts et Moyens Plateaux de Minembwe, situés dans les territoires enclavés de Fizi, Mwenga et Uvira derrière la barrière naturelle des Monts Mitumba, se trouvent depuis plusieurs années dans une situation assimilable à un camp de concentration à ciel ouvert. L'absence quasi totale d'infrastructures routières accentue l'isolement et condamne la population banyamulenge à une insécurité chronique, privée d'accès aux soins et exposée à des risques mortels lors de tout déplacement.
La majorité de cette population survit dans des camps de déplacés internes : Muramvya, Nyakirango, Mugethe, Bijombo et Kahololo (Uvira), Mikenke (Mwenga), Bibokoboko et Minembwe (Fizi).
Depuis février 2025, une série de frappes aériennes par drones et avions militaires s'est abattue sur la région. Parmi les épisodes les plus marquants, citons : le 29 février, une frappe ayant tué plusieurs personnes dont le colonel Michel Rukunda Makanika.
Le 10 mars, le bombardement de l'aérodrome de Minembwe, touchant hôpital et écoles ; les 12 mars et 15 mai, de nouvelles frappes sur le village de Mikenke.
Le 30 juin, la destruction d'un avion humanitaire chargé de médicaments, du 27 au 31 août, une série d'attaques coordonnées, dont l'une a visé simultanément trois villages (Mikenke, Nyamurombwe et Rugezi), tandis que des drones survolaient toute la région, plongeant la population dans la panique.
Ces frappes, menées sans distinction entre civils et militaires, participent d'un plan concerté d'extermination et de nettoyage ethnique, en contradiction flagrante avec les accords de Washington et de Doha qui devaient instaurer un cessez-le-feu et garantir la protection des civils.
En parallèle, les offensives terrestres se sont intensifiées : les FARDC, appuyées par les Wazalendo, les FDLR et l'armée burundaise, concentrent leurs attaques sur Minembwe. La population se retrouve ainsi prise en étau et exposée à un risque imminent de massacres de masse si aucune intervention internationale d'envergure n'est entreprise.
A Uvira comme dans d'autres localités, les Banyamulenge et les Tutsis congolais subissent en outre une discrimination structurelle et une xénophobie décomplexée. L'épisode tragique entourant les funérailles du colonel Patrick Gisore et de son épouse, décédés dans un accident d'avion le 16 août 2025, en est une illustration éclatante : les milices Wazalendo ont empêché leur inhumation, profanant l'église locale et agressant les fidèles au motif absurde que les défunts étaient des " étrangers rwandais ".
De même, la nomination du général Olivier Gasita à Uvira a été violemment contestée en raison de ses origines banyamulenge, suscitant plusieurs journées de " ville morte " orchestrées par des forces hostiles.
Les exécutions sommaires, perpétrées à l'encontre de personnes identifiées ou soupçonnées d'appartenir à la communauté banyamulenge, continuent d'être signalées, révélant l'ampleur de l'impunité et la volonté manifeste d'éradication ethnique. Ces faits, minutieusement documentés par le Collectif, seront portés devant les juridictions compétentes.
Situation explosive à Uvira
La situation à Uvira illustre, avec une intensité dramatique, la descente aux enfers de l'Est congolais. Les actes inhumains commis par les Wazalendo échappent à toute qualification juridique ordinaire tant leur cruauté heurte la conscience universelle. La militarisation croissante de la ville, appuyée par des drones opérés depuis le Burundi, démontre l'implication active de ce pays dans le conflit. Jusqu'ici, les autorités burundaises semblent bénéficier d'une impunité totale, ce qui ne peut être toléré.
Si les accords conclus à Doha et à Washington ne sont pas respectés, le pire est à craindre pour les Banyamulenge et les Tutsis établis dans cette région. La responsabilité des autorités congolaises, leur connivence avec les milices ainsi que l'inaction coupable de la communauté internationale, placent le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme face à un impératif catégorique : assumer pleinement son mandat de protection et de dénonciation des violations graves, sans complaisance ni calcul politique.

Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/Le-Haut-Commissariat-des-Nations-Unies-mis-face-a-ses-responsabilites.html