
Un feu sacré brûlait â" non pas en flammes, mais dans les voix, dans les larmes, dans les récits racontés et répétés. Dans les noms égrenés. Dans les vies ressuscitées par la mémoire.
Ils étaient réunis pour honorer ce que l'on appelle en kinyarwanda, avec une douleur profonde, " Imiryango yazimye " â" ces familles totalement anéanties, des lignées éteintes lors du génocide contre les Tutsi en 1994.
Que le poids de ce mot " kuzima " vous pénètre.
Il ne s'agit pas seulement d'une vie perdue. Pas seulement d'une personne enterrée. Mais d'une lignée entière â" soufflée comme une bougie dans le vent, disparue à jamais, sans voix pour parler, sans rire à partager, sans enfant à nommer, sans bénédiction à offrir, sans personne pour enterrer ses morts.
Ce sont les morts qui n'ont laissé aucun endeuillé.
Un total stupéfiant de 15 693 familles. Environ 68 871 personnes. Éteintes.
Il ne s'agissait pas d'une mort due à la nature, au temps ou au malheur. C'était l'acte délibéré du génocide â" l'effacement de la mémoire, de l'ascendance, des racines et des fruits, des récits, des voix, des noms.
Ce n'étaient pas seulement des personnes tuées ; ce furent des héritages brûlés, des arbres généalogiques entiers tranchés à la racine et jetés dans l'abîme.
Le kinyarwanda, dans sa richesse, nous offre une bénédiction qui résume l'essence de la continuité humaine : " Izina ryawe ntirikazime " â" Que ton nom ne s'éteigne jamais.
Mais que se passe-t-il lorsqu'il s'éteint ? Que faisons-nous lorsque les noms ne sont pas seulement oubliés, mais qu'il ne reste plus personne pour s'en souvenir ?
Nous nous sommes assis à Cyasemakamba. Nous avons lu leurs noms. Nous avons ressuscité leur présence par le souvenir. Parce que nous le devons.
Et pourtant, alors que j'étais assis parmi la foule ce jour-là, écoutant la voix douce mais résolue d'une survivante raconter l'anéantissement de toute sa famille, une question insidieuse m'est venue à l'esprit â" non pas : " Et si le Front Patriotique Rwandais (FPR) n'était pas arrivé à temps ? " â" mais quelque chose d'encore plus sombre :
Et si les génocidaires avaient réussi ? Et s'ils avaient achevé leur uvre ? C'est une obscurité qui a failli triompher.
Laissez cela vous pénétrer : pas seulement un État failli, pas seulement plus de vies perdues. Mais une nation devenue folle, victorieuse dans sa folie, se délectant de sa propre soif de sang, et célébrant les meurtriers comme des héros.
Dans ce cauchemar, il n'y aurait aucun jour fixé pour l'événement Imiryango Yazimye, parce que personne ne s'en souviendrait. Personne ne le pourrait. Les survivants seraient morts.
Ceux qui ont osé cacher leurs voisins â" ces hommes et femmes hutu courageux â" seraient enterrés à leurs côtés.
Il n'y aurait personne pour murmurer un nom. Personne pour entretenir une tombe.
Dans ce Rwanda alternatif et grotesque :
Félicien Kabuga serait un héros national, salué comme le philanthrope qui a financé le patriotisme.
Les animateurs de la RTLM, comme Valérie Bemeriki, seraient érigés en modèles dans les écoles de journalisme, exemples de " communication nationaliste ".
L'aéroport Grégoire Kayibanda existerait encore, mais on y aurait ajouté de nouveaux hommages : le mont Kigali aurait été rebaptisé Mont Froduald Karamira, en l'honneur de l'homme qui coordonna l'extermination avec une précision cléricale et proclama le Hutu Power.
Le 7 avril ne marquerait pas le début du deuil, mais une abominable Journée nationale du patriotisme célébrant " ceux qui ont travaillé " â" car oui, tuer les Tutsi était qualifié de gukora (travailler).
Et le jour de la fête du Travail (1er mai), le meilleur " travailleur " recevrait une Machette d'Argent, peut-être gravée de l'année et du lieu de sa contribution la plus " efficace ".
Permettez-moi de vous poser la question franchement â" si Hitler avait gagné, y aurait-il une Journée de commémoration de la Shoah ?
Y aurait-il une Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide ?
Connaîtrions-nous même le mot " génocide " ? Ou bien " Plus jamais ça " aurait-il signifié " Encore une fois " ?
L'horreur véritable du génocide ne réside pas seulement dans le massacre de masse. Elle réside dans l'intention d'effacer, de nier l'existence, de réduire un peuple à un passé qui n'a jamais existé, de l'anéantir non seulement de la terre, mais aussi de la mémoire.
Dans le cas du Rwanda, ils ont failli réussir.
C'est pourquoi nous ne parlons pas à la légère de l'Imiryango Yazimye. Ce ne sont pas de simples statistiques. Ce sont des noms sans visages, des anniversaires sans célébration, des chansons jamais chantées, des mariages sans danse, des sagesses jamais transmises.
Chaque famille anéantie représentait un monde perdu.
Chaque nom est une constellation effondrée.
Parmi ceux que nous avons honorés ce jour-là figurait la famille de Faustin Rucogoza, un homme de principes, ministre de l'Information avant le génocide â" il avait osé avertir les propagandistes de la haine de la RTLM.
Certains noms que nous évoquons ne sont pas de simples statistiques. Prenez Faustin Rucogoza â" alors ministre de l'Information, il a eu le courage d'alerter les architectes de la RTLM.
Il a dit à Kabuga, Nahimana et Barayagwiza qu'ils empoisonnaient le Rwanda. Pour cela, il a été tué. Sa famille aussi.
Imaginez : si les génocidaires avaient gagné, Kabuga aurait une statue au centre-ville de Kigali. Il serait une icône nationale. Des statues de lui orneraient les places publiques. Son empire commercial figurerait dans les manuels scolaires.
Les enfants apprendraient à l'école la " Doctrine Kabuga ". Et Rucogoza ? Enterré deux fois â" une première fois dans son corps, une seconde dans la mémoire.
Mais l'histoire n'a pas suivi ce chemin. Parce que certains ont choisi de ne pas détourner le regard. Parce que le FPR a choisi de ne pas négocier avec le mal. Parce que les survivants â" blessés, marqués, tremblants â" se sont levés pour témoigner.
'L'Institut du Leadership Théodore Sindikubwabo' organiserait des conférences nationales sur les " valeurs rwandaises ".
Les musiciens se disputeraient le Prix Simon Bikindi, nommé d'après le compositeur génocidaire dont les paroles étaient des machettes mises en mélodie.
Ressentez-vous cette boule au ventre ? Laissez-la grandir. Cet inconfort ? Cette douleur sourde ? C'est l'écho du génocide.
Voilà ce que nous avons échappé â" de justesse. Et c'est ce qui fait de la victoire de l'Armée patriotique rwandaise (APR) non seulement un triomphe militaire, mais la préservation même de la vie.
Il est essentiel de se souvenir du prix et du sens de cette victoire. L'APR n'a pas seulement arrêté un génocide. Elle a empêché la fin du Rwanda.
Ne vous y trompez pas : la victoire ne signifiait pas vengeance. Elle signifiait salut.
Elle signifiait mémoire. Elle signifiait que quelqu'un â" n'importe qui â" vivrait pour dire :
" Mon père s'appelait⦠"
" Ma sur avait l'habitude de⦠"
" Notre famille se réunissait sous le vieil arbre⦠"
Sans cette victoire, qui aurait pu dire ces choses ? Personne. Car des lignées entières auraient été vaporisées.
Si les génocidaires avaient gagné, l'histoire serait un mensonge. La vérité serait enfouie dans des fosses communes, et le journalisme serait la RTLM.
Les clercs les plus sanguinaires, comme Anastase Seromba, qui ordonna de détruire son église avec des Tutsi à l'intérieur, seraient aujourd'hui évêques. Le tueur le plus efficace serait Ministre des Travaux publics.
Le voyez-vous maintenant ?
L'APR n'a pas seulement remporté une guerre. Elle a sauvé la vérité de la réécriture par les meurtriers. Elle a préservé la dignité du viol par la haine. Elle a relevé le Rwanda du bord de la honte éternelle.
Pensez-y et souvenez-vous-en : la mort de la Famille n'est pas seulement une tragédie â" c'est une terreur.
Revenons au mot " kuzima ". S'éteindre. Disparaître.
Lorsqu'une personne meurt, on dit qu'elle est décédée. Mais lorsqu'une famille s'éteint, qu'il ne reste plus personne pour se souvenir, aucun enfant pour porter le nom, on appelle cela kuzima.
Ce n'est pas simplement tragique. C'est dévastateur. C'est comme voir la dernière étincelle s'éteindre dans un pays plongé dans les ténèbres.
Ils ont été assassinés, pas oubliés. Pas par le temps, mais par des hommes.
Comprenez-vous ce que cela signifie de s'asseoir parmi une foule et d'entendre un nom lu à haute voix que personne ne se rappelle ? Que cette personne n'existe que sur le papier ? Que cette famille n'a plus aucun membre vivant ?
Vous êtes assis dans le silence des fantômes. Vous respirez l'air de l'absence.
Et vous comprenez, en cet instant sacré, que l'oubli est la victoire ultime du génocide.
Sans l'APR sous le commandement du Président Paul Kagame, le Rwanda aurait pu devenir un musée de sa propre mort.
Si les génocidaires avaient gagné, le Rwanda d'aujourd'hui serait un cimetière de mensonges.
Les touristes viendraient voir les crânes des " terroristes " â" les mêmes victimes tutsi dont les meurtriers ont réécrit l'histoire.
Les conférences internationales applaudiraient le " processus de paix " et serreraient la main d'hommes qui buvaient du vin sur des corps.
Ceux qui ont essayé de cacher ou de sauver des Tutsi seraient considérés comme des traîtres.
Quelque part, un garçon grandirait en se faisant dire que son père était un héros pour avoir tué des " cafards ".
Il porterait la machette de son père comme un héritage familial.
Il dirait à son fils : " C'est l'outil de notre indépendance. "
Cela ne s'est pas passé ainsi. Parce que certains ont riposté.
Nous vivons dans un monde où ce cauchemar ne s'est pas réalisé. Pas par hasard.
Mais grâce au sacrifice et à la détermination du Front patriotique rwandais et de son armée de fils et de filles qui savaient ce qui était en jeu.
Ils ne se battaient pas seulement pour un territoire.
Ils ressuscitaient un avenir, refusant de laisser le Rwanda être dévoré par ses propres démons.
En 1994, lorsque le monde a tourné le dos, eux ne l'ont pas fait. Lorsque les Nations Unies ont failli, ils sont intervenus.
Quand les puissances internationales débattaient sur les " actes de génocide ", le FPR se battait pour arrêter l'acte lui-même.
C'est pourquoi, aujourd'hui, les enfants connaissent les noms de leurs grands-parents.
C'est pourquoi, à Cyasemakamba, nous avons pu pleurer, non pas dans le désespoir, mais en défi à l'effacement.
La mémoire comme résistance et résurrection
Que le monde entende ceci : nous ne nous sommes pas réunis à Cyasemakamba simplement pour pleurer.
Nous nous sommes réunis pour dire : " Vous n'avez pas gagné. "
Aux génocidaires â" morts ou encore cachés â" voici notre message :
Vous avez essayé de faire du Rwanda une tombe.
Nous en avons fait un jardin.
Vous avez essayé de tuer des noms.
Nous les avons ressuscités.
Vous avez essayé d'éteindre une flamme.
Elle brûle plus fort que jamais.
Grâce à cette victoire, le Rwanda n'est pas un musée de sa propre mort, mais une nation vivante et respirante. Une nation qui se souvient. Une nation qui pleure. Une nation qui reconstruit.
Mais restons un instant de plus dans cet univers cauchemardesque alternatif â" où les génocidaires auraient achevé leur " travail ", et où le feu du Rwanda n'aurait pas seulement été atténué, mais totalement éteint.
Imaginez le silence mondial, cette indifférence glaçante, les manuels d'histoire réécrits qui présenteraient les assassins comme des défenseurs de la nation, les meurtriers de masse comme des " sauveurs de la culture ", et leurs machettes imbibées de sang comme des symboles de la " résilience rwandaise ".
Imaginez les enfants des tueurs récitant fièrement dans les salles de classe des passages des chansons de Simon Bikindi, apprenant que " Ibinyoma by'Inyenzi " était un hymne patriotique plutôt qu'un appel à l'extermination d'un peuple.
Imaginez Seromba prêchant depuis une cathédrale reconstruite sur les décombres de fidèles assassinés, exhortant les croyants à pardonner à leurs " propres gens " d'avoir " nettoyé la nation ".
Et oui, imaginez une " Journée nationale RTLM ", honorant " le pouvoir de la liberté d'expression ". Imaginez une " Avenue KANGURA " ou une " Rue Hassan Ngeze ".
Vous trouvez cela absurde ? Bien sûr que oui. C'est justement le propos. Le mal, quand il triomphe, se requalifie en vertu.
Nous le savons parce que l'histoire nous offre des plans sombres. Si Hitler avait gagné, nous n'aurions pas eu Le Journal d'Anne Frank, mais " Les Chroniques du Triomphe Aryen ".
L'Holocauste aurait été une " purge nécessaire ". Et oui, le monde n'aurait jamais signé la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide â" parce qu'il n'y aurait plus eu personne pour l'exiger.
Pas de procès de Nuremberg. Pas de " Plus jamais ça ". Juste le silence. Juste les cendres.
Alors quand nous nous souvenons à Cyasemakamba, nous ne pleurons pas seulement. Nous proclamons une victoire morale.
Nous affirmons que l'arc de notre histoire, bien que brûlé et marqué, ne s'est pas courbé devant le mal. Il a été redressé, corrigé et relevé par la détermination de ceux qui ont refusé de laisser le Rwanda disparaître dans les ténèbres.
Le pouvoir du souvenir â" ce ne sont pas seulement les noms, mais aussi l'absence de ceux qui portaient ces noms.
Un nom, quand il est prononcé, résiste à l'extinction. Mais une famille, quand elle est entièrement anéantie, tombe dans un abîme plus profond. C'est ce qui rend " umuryango kuzima " un mot si poignant. Ce n'est pas seulement la mort.
C'est la disparition. C'est la disparition de la mémoire. La rupture de la lignée. Toute une constellation d'amour, de lutte, de joie et d'espoir â" éteinte. Comme si elle n'avait jamais existé.
À Cyasemakamba, les gens ne se contentaient pas de lire des noms. Nous reconstruisions des lignées brisées avec des mains tremblantes.
Chaque " umuryango wazimye " était un vide trop vaste pour être compris â" une mère, un père, des enfants, des oncles, des cousins, des grand-mères, des voisins, des rêves⦠tous disparus. Pas enterrés. Anéantis.
Et pourtant, nous nous souvenons. Parce que nous ne devons pas laisser le silence gagner. Nous ne devons pas permettre aux assassins une seconde victoire par l'oubli.
La liste â" 15 693 familles, 68 871 vies â" n'est pas terminée. Le décompte continue, comme une blessure qui refuse de cicatriser, chaque nom surgissant comme un fantôme qui refuse de s'éteindre tranquillement dans la tombe de l'histoire.
Dans la culture rwandaise, il y a une bénédiction : " Izina ryawe ntirikazime " â" que ton nom ne soit jamais éteint. Ce n'est pas seulement un souhait adressé à l'être aimé. C'est un serment. Une responsabilité sacrée. Et donc, nous prononçons les noms. Nous refusons le silence.
La théologie de l'horreur
Si les génocidaires avaient gagné, le Rwanda serait devenu une église de l'horreur, avec des évêques bénissant les tueurs et des sermons faisant l'éloge de la pureté par le meurtre.
Anastase Seromba aurait été élevé archevêque du Rwanda. Il aurait été célébré comme le " Bâtisseur de la Foi ", sans que l'on tienne compte du fait qu'il a ordonné la destruction d'une église où se trouvaient 2 000 Tutsi.
Ces martyrs auraient été effacés â" victimes d'une " guerre juste ".
Les mots infâmes de Léon Mugesera â" " jetez-les dans le Nyabarongo " â" seraient récités comme une prose sacrée, peut-être même inclus dans un catéchisme national de discours patriotiques.
Et le Nyabarongo, rebaptisé " Umugezi w'Ibyiringiro " (La Rivière de l'Espoir), accueillerait des commémorations annuelles pour le jour où la rivière " a emporté les ennemis ".
Une machette d'argent pour le travailleur de l'année ? Pourquoi pas ? Quand le génocide devient une politique, alors la cruauté devient un mérite. Alors les machettes deviennent des médailles. Les fusils, des guirlandes. Et les meurtriers, des héros.
Le bureau du président aurait installé un portrait de Théoneste Bagosora au-dessus de la constitution. Kigali se serait renommée " Bagosora City ".
Et le 7 avril, au lieu de pleurer, il y aurait eu des défilés. Des chars de danseurs en rouge â" symbole du sang â" chantant " Akazi kageze aho kagomba kugera " ( Le travail est arrivé où il devait arriver ).
Vous frissonnez ? Vous devriez. Parce que ce n'est pas juste de la fiction dystopique â" c'est le futur qui était à portée de main. La corde était nouée. Les allumettes allumées. Et le monde regardait ailleurs.
Porteurs de flamme contre les ténèbres
Le Front patriotique rwandais, et sa branche armée, l'Armée patriotique rwandaise (APR), ont fait bien plus que stopper un génocide. Ils ont interrompu l'enfer.
Ils ne sont pas arrivés en parfaits anges, mais en êtres humains armés d'une mission impossible : devancer la mort elle-même.
Ils ne se sont pas demandé : " Pouvons-nous négocier ? " Ils ne se sont pas interrogés : " La communauté internationale agira-t-elle ? "
Ils n'ont pas hésité lorsque les institutions puissantes du monde â" l'ONU, les gouvernements occidentaux, les médias â" ont choisi les platitudes plutôt que l'intervention.
Ils ont vu le feu et y sont entrés. Ils ont affronté la machette avec courage. Ils ont répondu à l'annihilation par la défiance.
C'est pourquoi la victoire du FPR n'est pas un simple événement politique. C'est un axe moral. C'est la fine ligne rouge qui a empêché le mal de réécrire l'histoire.
Sans le FPR, il n'y aurait pas de Rwanda. Seulement un champ de massacre. Seulement des tombes anonymes. Seulement le silence.
C'est pourquoi il est non seulement approprié, mais nécessaire de comparer le rôle du FPR à celui des forces alliées durant la Seconde Guerre mondiale.
Si les Alliés avaient échoué, le drapeau nazi flotterait sur toute l'Europe, et le journal d'Anne Frank ne serait que cendres dans un poêle.
Si le FPR avait échoué, Gisenyi serait rebaptisée " Ville Barayagwiza ", et la notion même de " Génocide contre les Tutsi " serait un mensonge passible de sanctions.
Les Nations Unies n'auraient jamais osé définir le génocide. Car qui définit ce qu'ils ont laissé se produire ?
Mais ils ont échoué. Les génocidaires ont échoué. Le mal n'a pas eu le dernier mot.
Nous nous sommes relevés des cendres. Les Rwandais se sont réappropriés leur histoire. Aujourd'hui, nous parlons en défi à la mort. Nous écrivons en résistance à l'effacement.
Nous nous souvenons non seulement des noms, mais aussi des histoires d'amour, des berceuses, des chansons d'école, des danses aux mariages, des blagues familiales â" tout ce qui fait l'intégralité d'un peuple.
Nous parlons parce que nous le pouvons. Nous nous souvenons parce que nous devons. Nous vivons parce que d'autres sont morts en refusant de se rendre.
Que personne ne romantise à nouveau les tueurs. Tout comme l'ancien hymne national glorifiait les criminels du PARMEHUTU.
Que cela soit dit clairement à chaque négationniste, chaque révisionniste, chaque apologiste habile qui tente de " contextualiser " le génocide :
Il n'y avait aucune justification. Il n'y avait pas de guerre. Il y avait seulement une annihilation planifiée et systématique d'un peuple.
Défendre les génocidaires, c'est souhaiter le triomphe de la mort sur la dignité. C'est cracher sur les tombes des enfants. C'est déclarer la guerre à la vérité.
Et minimiser le rôle du FPR, c'est nier le miracle de la survie du Rwanda.
Ne faisons pas semblant de neutralité là où il n'y en avait pas. Ne mettons pas l'horreur sur un pied d'égalité avec un faux discours " des deux côtés ". Si le FPR n'avait pas gagné, alors " Plus jamais ça " aurait signifié " Encore et encore ".
Le feu qui ne s'est pas éteint
Le mot kuzima doit nous hanter. Parce que ce qui a été éteint ne peut jamais être rallumé.
Mais prenons consolation dans le fait qu'un feu a survécu. Qu'au milieu des cendres, quelques braises sont restées. Et le FPR â" improbable, déterminé, défiant â" a ravivé ces braises.
Le Rwanda d'aujourd'hui marche parce qu'il n'a pas péri. Il parle parce qu'il n'a pas été réduit au silence. Il se souvient parce que sa mémoire n'a pas été totalement assassinée.
Les génocidaires ont essayé de kuzima le Rwanda. Mais ils ont échoué. La lumière brûle toujours.
Nous qui vivons aujourd'hui portons un devoir plus sacré que la vie elle-même :
Se souvenir. Témoigner. Veiller à ce que " Plus jamais ça " ne soit pas une phrase vide, mais une vérité vécue.
Quand nous disons " Izina ryawe ntirikazime ", nous ne le murmurons pas dans le silence.
Nous le crions dans l'histoire.
Nous l'enseignons dans les écoles.
Nous le peignons sur les mémoriaux.
Nous le chantons dans les poèmes.
Nous l'écrivons dans les livres.
Nous le pleurons à Cyasemakamba ou ailleurs.
Et quand notre heure viendra, nous le transmettrons â" non pas comme un fardeau, mais comme un témoignage.
Parce que si la flamme d'une famille s'éteint, et que nous le laissons faire, alors le génocide a gagné.
Mais si nous nous souvenons â" vraiment, profondément, avec défi â" alors l'acte même de mémoire devient résistance.
Alors, disons-le encore une fois :
Pas pour un seul nom.
Pour 15 693 familles.
Pour les 68 871 âmes dont ils ont voulu éteindre la flamme.
Mais surtout â" disons-le pour ceux qui restent à naître.
Pour qu'ils sachent, et puissent dire avec fierté :
" Nous venons d'un peuple qu'ils ont voulu effacer. Mais nous sommes toujours là. "
C'est le devoir sacré des vivants.

Tom Ndahiro
Source : https://fr.igihe.com/De-l-oubli-a-la-memoire-et-au-sens-de-la-victoire-du-FPR.html