
Plus de trois décennies après ces événements funestes, la France se trouve aujourd'hui au cur d'une procédure judiciaire d'une portée historique : la requête du parquet national antiterroriste (Pnat) en faveur de la mise en examen d'Agathe Habyarimana, veuve du président rwandais Juvénal Habyarimana, patronne de l'akazu, pour son implication personnelle dans le génocide contre les tutsi.
Une figure emblématique de l'Akazu, organe tentaculaire de l'extermination
Agathe Habyarimana n'est pas une simple veuve d'ancien chef d'État. Elle incarne, selon de nombreux observateurs et experts en criminologie internationale, une figure prépondérante du clan extrémiste hutu connu sous le nom de l'Akazu. Cette nébuleuse politico-militaire, perçue comme l'épicentre de la planification et l'exécution du génocide contre les tutsi, aurait exercé une influence déterminante sur l'appareil d'État rwandais, insufflant une idéologie meurtrière et orchestrant, dans l'ombre, la mise en uvre de la tragédie qui allait emporter plus d'un million d'âmes en l'espace de cent jours.
La requête du parquet s'appuie sur des éléments d'enquête approfondis visant à établir une " entente établie en vue de commettre un génocide et des crimes contre l'humanité ". Ce chef d'accusation d'une gravité extrême met en lumière la présomption de sa participation active aux décisions stratégiques ayant conduit à l'anéantissement systématique de la communauté tutsie.
L'asile politique refusé : une reconnaissance implicite de la culpabilité ?
Si la mise en examen d'Agathe Habyarimana relève encore de l'hypothèse judiciaire, son exclusion du statut de réfugié politique par le Conseil d'État en 2007 témoigne de la perception institutionnelle de son rôle dans les atrocités de 1994.
La plus haute juridiction administrative française a en effet confirmé le rejet de sa demande d'asile, arguant de " raisons sérieuses de penser " que cette dernière s'était rendue coupable de crimes contre l'humanité.
Accueillie en France en 1994 sous des auspices controversés, elle a bénéficié d'une relative impunité pendant de nombreuses années, suscitant l'indignation des associations de victimes et des instances internationales engagées dans la lutte contre l'impunité des auteurs de génocides. Pourtant, la possibilité de son expulsion, bien que juridiquement envisageable, demeure un point d'achoppement politique et diplomatique.
Une décision cruciale attendue : entre impératifs de justice et enjeux géopolitiques
Le 20 mars 2025, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris se penchera, à huis clos, sur la requête du parquet national anti-terroriste. La décision, mise en délibéré, pourrait ouvrir une nouvelle page judiciaire d'une importance capitale pour la reconnaissance des responsabilités dans le génocide contre les tutsi.
Si la mise en examen est prononcée, elle représenterait un tournant majeur dans la justice pénale internationale, confirmant que le crime de génocide demeure, conformément aux principes du droit international, un acte imprescriptible ne souffrant d'aucune immunité.
Ce dossier met également en lumière les bonnes relations diplomatiques entre la France et le Rwanda, alors que les relations entre les deux pays, longtemps marquées par la défiance, connaissent depuis quelques années une dynamique de réconciliation.
Vers une justice équitable et intransigeante
Pour les rescapés du génocide et les défenseurs des droits humains, la mise en examen et un éventuel procès en France d'Agathe Habyarimana constitueraient une avancée significative dans la reconnaissance des responsabilités des instigateurs de cette tragédie. Si la justice se veut l'émanation d'une mémoire collective et d'une vérité historique, elle doit s'exercer avec la rigueur et la solennité que de tels crimes exigent.
L'heure est donc venue pour la France de montrer que son engagement contre l'impunité des crimes contre l'humanité ne souffre d'aucune exception. Car, comme le rappelait Hannah Arendt, la justice n'est pas seulement une réponse au passé, mais aussi une exigence pour l'avenir.

Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/Agathe-Habyarimana-rattrapee-par-la-justice.html