
Cette question, érigée en exigence prioritaire par l'Alliance Fleuve Congo/M23, empoisonne les pourparlers de Doha. Lors des différentes séquences de négociation, le mouvement rebelle a transmis à la médiation une liste de près de 700 détenus, tandis que Kinshasa s'empêtre dans des tergiversations embarrassées, oscillant entre déni et inconfort manifeste face à ce contentieux brûlant.
Une négociation paralysée par la méfiance et les postures
Depuis bientôt trois semaines, les délégations congolaises et celles de l'AFC/M23 poursuivent à Doha un processus de paix dont les avancées demeurent faméliques. Aucun débat de fond n'a encore émergé, tant les deux camps restent prisonniers de leur antagonisme et des sempiternelles " mesures de confiance ". Parmi celles-ci, la libération des prisonniers constitue le nud gordien.
Deux écueils dominent la scène. Le premier, d'ordre psychologique, réside dans une méfiance réciproque exacerbée, nourrie par les déclarations incendiaires du gouvernement congolais dans les médias, qui n'ont fait qu'attiser la suspicion et saper le climat de négociation.
Le second, invoqué par Kinshasa, serait d'ordre technique. L'AFC/M23 avance le chiffre d'au moins 700 personnes incarcérées. Encore faut-il, selon le gouvernement, dresser, authentifier et certifier les listes. À cette fin, le Comité international de la Croix-Rouge a été sollicité en qualité d'intermédiaire neutre, pour accomplir ce travail fastidieux de vérification et de certification.
Le vice-premier ministre chargé de l'Intérieur, Jacquemain Shabani, invoque " un travail de fond " impliquant différentes institutions et articulé autour du droit national. Mais il se garde bien d'indiquer le moindre calendrier pour ces libérations, laissant planer une incertitude qui accroît la frustration de son vis-à-vis.
L'épineuse symétrie des libérations
On se souvient que des militaires cantonnés au quartier général de la MONUSCO et au stade de l'unité avaient été transférés de Goma à Kinshasa, sous escorte du CICR, en avril dernier. Mais le gouvernement déplore encore que, lors des offensives de janvier et février, environ 1 500 soldats réguliers aient été acheminés par l'AFC/M23 vers le camp militaire de Rumangabo pour " reconditionnement ".
L'impasse comme révélateur
Ce blocage éclaire avec acuité l'un des paradoxes les plus saisissants du pouvoir congolais. D'un côté, les autorités se parent de la rhétorique des droits fondamentaux et de la réconciliation nationale, proclamant haut et fort leur attachement aux principes universels de justice et d'égalité.
De l'autre, dans la pratique, cette posture se heurte à la réalité tangible d'une administration qui tolère, voire perpétue, la détention arbitraire de citoyens, fragilisant ainsi la crédibilité de ses engagements moraux et politiques.
La gravité de cette contradiction réside dans son caractère sélectif et identitaire. Des centaines d'individus se voient privés de liberté non pour leurs actes, mais en raison de leur appartenance ethnique, un stigmate qui confère à leur détention une dimension profondément discriminatoire.
Ce hiatus entre discours et action révèle non seulement les limites de la gouvernance actuelle, mais aussi l'urgence impérieuse d'un arbitrage éthique et politique capable de réconcilier les promesses officielles avec la réalité vécue par les populations concernées.
En ce sens, le sort des prisonniers tutsi congolais devient un miroir impitoyable renvoyant au gouvernement l'image de ses propres contradictions.
À Doha, le temps joue contre les protagonistes. Chaque jour d'atermoiement fragilise un peu plus la crédibilité de Kinshasa et alimente la conviction que l'édifice du processus de paix pourrait s'effondrer sur cet obstacle moral et politique.
Le gouvernement congolais, s'il veut sauver l'essence même de son discours, ne pourra éternellement différer une décision qui s'impose désormais comme le véritable test de sa sincérité.

Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/Prisonniers-tutsi-congolais-ou-le-talon-d-Achille-du-discours-en-RDC.html