
L'historien a indiqué que des éléments en cours de collecte montrent l'implication totale d'Agathe Kanziga Habyarimana dans le génocide contre les Tutsi, critiquant la décision de la justice française de classer sans suite l'enquête la concernant.
Une enquête controversée en France
En 2008, des associations de parties civiles avaient déposé plainte en France afin qu'une enquête soit ouverte sur les responsabilités de Mme Habyarimana dans le génocide contre les Tutsi et les crimes contre l'humanité. Toutefois, en février 2022, les juges d'instruction ont décidé de classer le dossier, estimant que les preuves disponibles étaient insuffisantes pour établir son implication.
En septembre 2024, le Parquet national antiterroriste (PNAT) avait pourtant souligné que l'instruction s'était limitée à un nombre réduit de faits, menée sur une courte période et avec trop peu de témoins. Le parquet avait donc demandé un complément d'enquête visant la période allant du 1ᵉʳ mars au 9 avril 1994, accusant Agathe Habyarimana d'avoir participé à l'entente en vue de commettre le génocide perpétré contre les Tutsi.
Ceci dit, les juges d'instruction ont rejeté, le 18 mai 2025, cette requête, arguant de l'absence d'éléments probants démontrant l'existence d'un projet génocidaire imputable à l'ancienne Première dame. Le PNAT a interjeté appel, en vain : le 20 août 2025, les juges ont confirmé la clôture définitive de l'enquête, considérant qu'Agathe Habyarimana n'avait pris part " ni à la préparation, ni à l'exécution du génocide ", mais qu'elle avait été, selon eux, " affectée " par l'attentat contre l'avion de son mari le 6 avril 1994.
Vincent Duclert dénonce une décision politique
Pour Vincent Duclert, spécialiste de l'histoire du Rwanda et président de la commission française sur les archives relatives au Rwanda et au génocide contre les Tutsi (2021), cette décision constitue une erreur extrêmement grave, rappelant que de nombreux documents et témoignages démontrent clairement l'influence décisive de Mme Habyarimana au sein de l'Akazu â" surnommé le " Réseau Zéro " â", un cercle restreint de proches du régime qui a conçu et dirigé l'idéologie génocidaire.
" Les documents que nous avons rassemblés montrent qu'Agathe Habyarimana a joué un rôle important dans le génocide contre les Tutsi. Avec son frère Protais Zigiranyirazo, elle a dirigé le 'Réseau Zéro', un groupe secret dont l'objectif était l'extermination des Tutsi. ", a-t-il déclaré sur France Inter.
L'historien rappelle également que l'attentat contre l'avion de Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, a constitué " l'élément déclencheur immédiat du génocide contre les Tutsi ", un événement auquel ce cercle occulte a activement participé.
Exfiltrée vers la France le 9 avril 1994 sur ordre du président François Mitterrand, Agathe Habyarimana aurait, selon Duclert, continué à soutenir activement les responsables du génocide depuis son exil :
" Les documents montrent qu'en France, elle a poursuivi son soutien au génocide en menant une propagande depuis l'exil, en lien avec les responsables des massacres. Je ne sais pas si les juges disposent de ces informations, mais il est évident qu'une enquête approfondie est nécessaire. "
En revanche, la décision de clore le dossier a suscité l'indignation des associations de victimes. Le 22 août 2025, leur avocat, Me Richard Gisagara, a dénoncé une justice inachevée :
" Ne vous laissez pas abattre par l'euphorie des génocidaires, des négationnistes, des extrémistes haineux et de leurs soutiens. Ce n'est qu'une étape dans cette affaire. Il reste encore l'appel et la cassation à venir. Ce dossier ne pourra être considéré comme clos qu'une fois toutes ces étapes franchies. "
Une protection persistante de la France
Depuis son arrivée en France en 1994, Agathe Habyarimana, aujourd'hui âgée de 82 ans, n'a exercé aucune activité professionnelle connue, vivant depuis trois décennies sous la protection et aux frais de l'État français.
Pour de nombreux observateurs, dont Vincent Duclert, cette protection s'explique par l'amitié étroite qui liait Juvénal Habyarimana à François Mitterrand, lequel avait soutenu jusqu'au bout son allié rwandais contre les forces du Front patriotique rwandais (FPR) durant la guerre de libération.
Malgré les archives, les témoignages et les rapports accablants, la justice française persiste à considérer qu'Agathe Habyarimana n'a joué aucun rôle dans la préparation ni dans la mise en uvre du génocide contre les Tutsi, une position qui, selon ses détracteurs, illustre la difficulté persistante de la France à assumer son passé rwandais.

IGIHE
Source : https://fr.igihe.com/Vincent-Duclert-critique-la-fin-de-l-enquete-sur-Agathe-Habyarimana.html