
Loin de se réduire à une simple confrontation d'opinions circonstancielles, un tel échange doit être envisagé comme un moment cardinal de structuration de la conscience collective, un temps où la réflexion lucide et la parole argumentée viennent nourrir le lien social d'une densité nouvelle. En se départissant des affects immédiats et des réflexes polarisants, le corps social se rend apte à saisir la complexité des enjeux dans leur épaisseur historique, morale et politique, et à édifier, sur les ruines de la confusion, les fondements d'une intelligence partagée du vivre-ensemble.
Face aux dérives de l'enrôlement spirituel et idéologique
Il est des silences collectifs qui confinent à la complicité, des replis du débat public qui, sous couvert de tolérance ou d'indifférence, laissent s'enraciner des phénomènes d'une nocivité insidieuse.
A l'orée de ce que certains persistent à appeler une modernité apaisée, il devient impératif de porter un regard lucide et sans complaisance sur certaines pratiques qui, sous l'apparence d'une quête spirituelle ou d'un engagement communautaire, dissimulent de véritables processus d'aliénation.
Les religions instituées, lorsqu'elles glissent insensiblement vers des formes d'autoritarisme dogmatique, de même que les groupements sectaires aux contours mouvants mais aux méthodes éprouvées, déploient un arsenal d'embrigadement méthodique.
Ce dernier repose non seulement sur une captation de l'adhésion individuelle, souvent obtenue par des mécanismes d'emprise psychologique, mais aussi sur des alliances extérieures, parfois opaques, parfois stratégiques, qui inscrivent ces mouvements dans une logique de soumission à des agendas idéologiques exogènes, souvent étrangers à l'environnement culturel ou politique dans lequel ils prétendent s'enraciner. Cette dynamique met en péril, de manière tangible, la souveraineté morale des individus ainsi que l'intégrité des sociétés qui les accueillent.
Plus préoccupant encore, certains groupes n'hésitent pas à ériger le refus des soins médicaux en norme transcendante, coupent l'individu de ses liens familiaux et sociaux, confondant foi et négation du réel, spiritualité et déni des besoins fondamentaux de la personne.
A cela s'ajoutent des formes d'abus d'une extrême gravité : assujettissement mental, exploitations financières, manipulations affectives, autant de violences symboliques et parfois physiques perpétrées sous couvert de salut, d'ascèse ou de révélation. Ce qui est ici en jeu, c'est bien l'exploitation cynique et méthodique de la vulnérabilité humaine, le détournement de la détresse en matière première de domination.
Ce constat impose une réaction, non pas dans le registre incantatoire ou moralisateur, mais à travers une véritable exigence de débat. Un débat structurant, éclairé, affranchi des passions bruyantes comme des prudences lâches. Car il ne s'agit nullement d'ériger une nouvelle forme d'intolérance à l'égard du religieux ou de la spiritualité sincère, qu'il convient au contraire de protéger et d'honorer, mais bien de dénoncer, au nom des valeurs communes, les abus qui, au nom de cette même transcendance, compromettent les droits, la santé et la liberté de conscience des individus.
Ce débat, toutefois, ne saurait s'enliser dans l'abstraction des cénacles ou se diluer dans l'indolence. Il appelle des actes citoyens, des postures courageuses, une pédagogie des risques et des engagements durables. Il exige que l'on réhabilite la vigilance critique comme vertu civique et que l'on reconnaisse à chaque citoyen le devoir de ne pas détourner le regard lorsque l'humain est réduit à l'état d'objet manipulable.
En somme, il s'agit de redonner sens à une responsabilité collective face à ce qui, sous l'apparence du spirituel ou du communautaire, n'est parfois que prédation organisée. Car une société qui renonce à nommer l'aliénation, à la combattre, à en dévoiler les ressorts, finit tôt ou tard par s'en faire l'auxiliaire.

Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/Pour-une-vigilance-ethique-et-citoyenne.html