Guy Logiest et l'arrogance coloniale au Rwanda (1959–1962) #rwanda #RwOT

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Propulsé à la tête des affaires civiles et militaires dans un territoire dont il ignorait tout, hormis les poncifs éculés de l'ethnologie coloniale, Logiest incarna cette figure d'autorité pétrie d'hubris, convaincue de sa mission salvatrice et agissant sans retenue dans un contexte de délitement impérial.

Sous couvert d'une prétendue révolution sociale, il imposa au Rwanda une ingénierie politique brutale et unilatérale, bouleversant les équilibres séculaires et précipitant le pays dans une dynamique de divisions ethniques exacerbées aux conséquences funestes.

Son action, conjuguant autoritarisme, mépris des institutions traditionnelles et indifférence cynique à la souffrance humaine, scella les prémices d'un pouvoir hutu exclusif qui, de discriminations en violences, devait culminer dans la tragédie génocidaire contre les tutsi de 1994.

Cette séquence historique, souvent occultée ou déformée, mérite d'être revisitée à l'aune de ses véritables ressorts : l'aveuglement d'un homme investi d'un pouvoir sans contrepoids et l'abandon coupable d'une métropole soucieuse avant tout de préserver ses intérêts dans l'après-Congo.

C'est avec un profond malaise teinté de répulsion que je refermai l'ouvrage Mission au Rwanda : un Blanc dans la bagarre Tutsi-Hutu (1988) du colonel belge Guy Logiest, acteur central et démiurge mal inspiré de la prétendue "révolution sociale" rwandaise.

Ce récit, à mi-chemin entre la justification et l'apologie d'un interventionnisme brutal, dévoile sans fard l'aveuglement d'un homme habité par une ambition démesurée et un sens perverti de la mission civilisatrice.

Un pouvoir absolu, exercé dans une ignorance crasse du pays

Dès son arrivée le 5 novembre 1959, Logiest, ignorant tout ou presque du Rwanda hormis les quelques clichés puisés dans un unique ouvrage au titre évocateur et aujourd'hui scientifiquement discrédité, se voit confier les rênes de l'autorité militaire.

En moins d'une semaine, il bouleverse sans consultation ni légitimité le fragile équilibre institutionnel du pays, remplaçant systématiquement les chefs traditionnels, en majorité tutsis, par des figures hutus, sous couvert d'une équité sociale fallacieuse.

Cette décision précipitée qui pulvérise la politique 'd'indirect rule' pratiquée par la Belgique depuis 1919 scelle l'alliance trouble entre une administration coloniale à bout de souffle, certains milieux missionnaires, et une ambition personnelle insatiable.

Logiest, bientôt nommé résident civil spécial, concentre entre ses mains tous les pouvoirs civils et militaires. Il se muera en véritable proconsul, modelant à sa guise le destin d'un peuple qu'il prétendait affranchir, mais qu'il précipitera dans l'abîme.

Un interventionnisme brutal dissimulé derrière le masque de l'égalitarisme

Derrière une rhétorique égalitariste de façade, l'action de Logiest relève en réalité d'une politique arbitraire, brutale et indifférente aux souffrances qu'elle engendre. L'auteur s'en glorifie lui-même :
" Mon rôle n'avait-il pas été semblable à celui d'un chirurgien, qui coupe dans l'infection sans trop se préoccuper de la cause du mal ? "

Ainsi, sous le prétexte de rééquilibrer une prétendue oppression ancestrale, il favorise sans vergogne les hutus, destitue les dignitaires tutsis, appuie le renversement du Mwami et prépare les conditions d'un pouvoir exclusif et sectaire.

Ce faisant, il se permet d'ignorer les rapports alarmants faisant état des massacres et déplacements massifs de populations tutsies. Les victimes, anonymes et sans voix, ne sont qu'à peine évoquées. Les réfugiés en Ouganda, dès cette époque, sont qualifiés d'"Inyenzi", terme infamant de cancrelats, préfigurant les logiques d'extermination des décennies suivantes.

Cynisme et déni : l'attitude méprisante face à la détresse humaine

La désinvolture avec laquelle Logiest évoque les déplacés internes confine à l'indécence. Ainsi à propos des milliers de Tutsis relégués dans le Bugesera :

"Plusieurs milliers de Tutsis, déclarés irrécupérables par les hutus, avaient trouvé refuge, plus ou moins contre leur gré, dans le Bugesera."

Plus accablant encore, lorsqu'un rapport militaire de 1960 constate que les Tutsis y "mouraient comme des mouches", Logiest ose commenter en note de bas de page :

"Notation erronée. Les conditions d'hébergement étaient fort acceptables en ce moment."
Ce cynisme glaçant révèle non seulement l'aveuglement, mais le mépris profond de celui qui disposait alors, de manière quasi monarchique, du sort d'un peuple.

Un hubris dévastateur, fruit d'une absence de contrôle et d'un contexte colonial déliquescent
Le caractère autoritaire et suffisant de Logiest s'exprime pleinement lorsqu'il fustige l'ONU qu'il accuse de "faire fausse route" et lorsqu'il se vante d'avoir sciemment manipulé ses observateurs lors des scrutins. Il confond ainsi démocratie et manipulation, légitimité populaire et dictature de circonstance.

Dans ses propres mots de 1988, transparaît cet orgueil démesuré :

"Mon rôle était encore déterminant. (…) C'était sans nul doute la volonté de rendre à un peuple sa dignité."

Une prétention messianique teintée d'un ressentiment à l'égard de l'aristocratie tutsie qu'il qualifie péjorativement de "camarilla" et qu'il entend abattre à tout prix, oubliant au passage que la majorité des Tutsis partageait la condition misérable de leurs compatriotes hutus.

La Belgique complice par son abdication de contrôle

Ce drame politique et humain fut aussi rendu possible par la déliquescence de l'autorité coloniale belge, traumatisée par les événements du Congo. La Belgique choisit alors de s'en remettre à "l'homme sur place", abdiquant toute supervision et livrant ainsi le Rwanda à l'expérimentation sociale d'un militaire orgueilleux et solitaire.

L'héritage funeste : du pouvoir exclusif à la tragédie génocidaire

Cette politique unilatérale, brutale et fondée sur des catégories raciales figées, devait irrémédiablement mener à l'installation d'un pouvoir hutu raciste et discriminatoire, qui pendant plus de trois décennies allait museler l'opposition, institutionnaliser l'exclusion et préparer, dans une indifférence quasi générale, le génocide contre les Tutsis en 1994.

Une leçon d'histoire et de responsabilité

Ainsi que le résume le professeur Jean Stengers dans la préface du livre :

"Pour comprendre pourquoi il y a un Congo, il faut comprendre la psychologie de Léopold II. Pour comprendre pourquoi il y a un Rwanda hutu, il faut comprendre le colonel Logiest."
Un constat implacable, qui nous rappelle combien l'Histoire, lorsqu'elle est livrée à des mains incompétentes et orgueilleuses, se répète sous des formes toujours plus tragiques.

Alain Destexhe, Senateur honoraire belge

Alain Destexhe



Source : https://fr.igihe.com/Guy-Logiest-et-l-arrogance-coloniale-au-Rwanda-1959-1962.html

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