
Comment la rébellion du M23 en est-elle arrivée à menacer le pouvoir congolais ?
Depuis le 23 mars 2009, des militaires et des citoyens congolais Tutsis ont formé un groupe de pression armée, le M23 ("Mouvement du 23-mars", Ndlr) pour exposer les discriminations multiples dont ils étaient l'objet dans le pays, et pour dénoncer la collusion entre les FARDC (Forces armées de la République démocratique du Congo, Ndlr) et les milices génocidaires FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda, Ndlr) cherchant à déstabiliser le Rwanda.
Depuis lors, une série d'engagements ont été pris par le pouvoir congolais, au niveau interne d'abord, puis bilatéralement avec le Rwanda, et enfin sous médiation régionale africaine. Hélas, ces engagements successifs se sont heurtés à une non application répétée, et à une pérennisation des problèmes.
A son arrivée au pouvoir en 2019, le président Tshisekedi a fait des déclarations fracassantes, promettant de ramener la paix à l'Est. Hélas, pris par d'autres priorités, ses promesses se sont révélées en-deçà des impératifs de succès : armée FARDC sous équipée et mal payée, maintien en fonction de généraux notoirement corrompus et sanctionnés par la Communauté internationale, refus d'appliquer le désarmement des FDLR, campagnes de haine tribale et externalisation des responsabilités sur le seul Rwanda.
Quelles sont les intentions du M23 après la prise de Goma, et Bukavu dans l'Est, et sans doute prochainement d'Uvira ? Vont-ils poursuivre leur avancée jusqu'à Kinshasa pour renverser le régime de Félix Tshisekedi ?
Dans ce contexte évoqué, les signes de restauration de l'autorité de l'Etat tardent à se manifester et jusqu'à présent le président Tshisekedi refuse tout dialogue direct avec le M23, malgré la pression unanime de tous les pays amis de la région (EAC, SADC, médiation angolaise) et plus récemment de l'UE et de l'ONU. La chance pour l'unité de la RDC réside dans le fait que le M23 n'avance pas d'agenda séparatiste, mais oriente ses revendications politiques sur la gouvernance défaillante à Kinshasa, l'absence de sécurité et sur la reconnaissance égale de tous les citoyens.
Selon les dires du leadership politique du M23, ceux-ci visent donc en effet le pouvoir de Kinshasa. On constate d'ailleurs que partout ailleurs au Congo, les critiques contre la corruption, l'absence de progrès partagé, l'insécurité croissante, et le tribalisme trouvent un large écho.
Que cherche en particulier le Rwanda en soutenant la rébellion ?
Le Rwanda vise la mise à l'écart des forces génocidaires FDLR, dont l'objectif est le renversement du régime de Kigali, et qui continuent à opérer en RD Congo en concertation avec les FARDC. Le Rwanda réclame également un traitement non discriminatoire de la minorité tutsie (Banyamulenge) congolaise en RDC.
La CENCO (Conférence épiscopale nationale du Congo) et l'ECC (Eglise du Christ au Congo, protestante) tentent une médiation entre le gouvernement et la rébellion. Que peut-on en espérer ?
L'initiative de la CENCO et de l'ECC est remarquable et certainement fort bien reçue par la population congolaise. Elle se situe en continuité de l'action déjà menée par la CENCO lorsque le Congo se trouvait dans une impasse dangereuse. Souvenons-nous de son rôle constructif et déterminant dans les années 1990 sous l'impulsion du cardinal Laurent Monsengwo, pendant la transition de la dictature mobutiste à la Conférence souveraine, et à nouveau avec la conclusion de l'accord de "la Saint Sylvestre" du 31 décembre 2017, contre la tentative du président Kabila de se maintenir au pouvoir à l'expiration de son dernier mandat de 2016 à 2018.
Quelles conséquences le conflit en RD Congo peut-il avoir dans cette région de l'Afrique ?
L'instabilité de la RD Congo, son incapacité à mettre en place une gouvernance indispensable à sa croissance et sa prospérité partagée, à restaurer la sécurité pour tous ses citoyens sur l'ensemble du territoire et de ce fait, à pousser et maintenir des millions de déplacés et de réfugiés constitue un drame humain inacceptable, un lourd fardeau pour les pays avoisinants et fragilise leur stabilité interne.
Que peuvent faire concrètement la Belgique, l'UE, les Nations unies ?
La Belgique, l'UE, et le Conseil de Sécurité des Nations unies suivent de près les évolutions sur le terrain. Il est important de rester un partenaire agissant aux côtés des populations, de garder le contact avec les dirigeants des pays concernés et de la région pour partager nos inquiétudes, nos espoirs et nos attentes, et de signifier notre disposition à aider là où c'est souhaitable et utile. Un point prioritaire devrait consister à insister plus fermement sur des réformes de gouvernance, de lutte contre la corruption généralisée, et favoriser des solutions pour le retour des millions de déplacés et de réfugiés, victimes innocentes depuis des décennies
Si le M23 devait atteindre son objectif final, quelles seraient les conséquences pour les relations avec la Belgique ?
Dans l'hypothèse où le M23 atteindrait son objectif déclaré, nous assisterions à une situation entièrement nouvelle pour le Congo et pour la région. La Belgique a déjà été confrontée à un scénario de ce type lors du renversement du régime de Mobutu en 1997 et l'avènement de l'AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, Ndlr).
L'armée FARDC négligée, mal payée et démotivée est incapable de tenir tête à des rebelles bien motivés, mais si le président Tshisekedi répondait aux appels au dialogue politique, entre autres du M23, il réaliserait un pas significatif pour arrêter les bains de sang et les crises militaro-humanitaires.
Tous les observateurs bien au fait de cette crise s'accordent d'ailleurs à insister pour une solution politique et non militaire, impliquant entre autres â" enfin â" l'instauration d'une gestion rigoureuse, base indispensable pour restaurer la souveraineté du Congo.
Propos recueillis par Christophe HERINCKX

Christophe Herinckx