Pour la première fois également, l'espace public n'a pas été livré à la dévastation coutumière : ni chaussées éventrées, ni biens incendiés, ni scènes de pillage. Les artères de la ville sont demeurées intactes, presque exemplaires de propreté, comme si la cité, l'espace d'un instant, avait consenti à se reconnaître elle-même dans l'ordre et la retenue.
Plus remarquable encore, nul ne s'est plaint d'avoir été délesté de ses biens. Cette manifestation, spontanée et pacifique, a surpris par sa civilité, sa discipline tranquille et cette atmosphère presque bon enfant qui en a constitué la trame.
La paix en question
Autre nouveauté d'importance : les forces de police, loin d'apparaître comme une menace, se sont rangées aux côtés des manifestants, non pour les contraindre, mais pour garantir le bon déroulement de la marche.
Aucun coup de feu n'a déchiré l'air, aucun militaire n'a braqué son arme sur des citoyens désarmés, aucune violence n'est venue ternir l'expression collective. Dès lors, une interrogation s'impose avec gravité : lorsque, hier encore, sous le régime défait, des tirs visaient les foules et que des exactions accompagnaient les manifestations, de quels ordres relevaient ces actes, et au nom de quelle prétendue légalité démocratique pouvait-on ouvrir le feu sur des civils ?
Qui, en ces temps troublés, s'appropriait les biens de la population : les manifestants eux-mêmes ou des fauteurs de désordre opportunément dissimulés ?
Ce qui s'est donné à voir à Goma relève d'une césure nette avec le passé : la sécurité comme réalité tangible, la manifestation comme droit exercé sans peur, la contestation comme parole publique pacifiée.
Tout, en vérité, s'y est révélé sous les traits d'une nouveauté radicale ; et cette irruption de l'inédit, loin de relever de l'anecdote ou de l'exception circonstancielle, projette une lumière implacable sur les violences d'hier.
Elle en dévoile l'inanité, en dissipe les faux alibis et en dépouille les auteurs de toute prétention à une légitimation morale ou politique. Ce qui fut longtemps présenté comme fatalité sécuritaire ou nécessité de l'ordre apparaît désormais pour ce qu'il était : un abus délibéré, dénué de fondement, que l'expérience présente réduit à l'état de simple imposture.
Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/Une-rupture-inedite-a-Goma.html