Le mirage des dialogues et la profondeur du mal congolais #rwanda #RwOT

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L'ambition paraît, à première vue, louable : dresser un état des lieux politique depuis les accords de paix de 1960, repenser les stratégies de sécurité nationale et la coopération transfrontalière, promouvoir une gouvernance sociale et économique plus équitable, assurer une gestion durable de l'environnement et des ressources naturelles, consolider le processus démocratique et préparer les échéances électorales, interroger la question identitaire et les modalités de la cohabitation intercommunautaire, renforcer la mobilisation régionale autour des traités de bon voisinage et, enfin, redéfinir le rôle de la justice dans la consolidation de l'État de droit. Sur le papier, tout semble pensé pour répondre aux urgences congolaises.

Mais l'histoire récente invite à la circonspection. La RDC a déjà connu, à maintes reprises, ces grandes messes nationales où l'on rassemble forces politiques, confessionnelles et civiles pour accoucher de textes solennels : la Conférence nationale souveraine des années 1990, le dialogue intercongolais de Sun City, les multiples conclaves politiques et, plus près de nous, les accords de la Saint-Sylvestre.

Ces rendez-vous, abondants en discours et en envolées oratoires, ont souvent suscité un espoir de refondation, mais l'expérience démontre qu'ils se sont rarement traduits en actes durables. La parole, au lieu d'être ferment d'un nouveau pacte social, s'y dilue trop souvent dans les rivalités partisanes, les marchandages de couloirs et l'éternelle quête de parts de pouvoir.

Le drame congolais dépasse, en vérité, les seules crises institutionnelles ou les défaillances de gouvernance. Il plonge ses racines dans une profondeur plus abyssale : la banalisation de la vie humaine. Ce n'est plus seulement la dépravation des mœurs ou l'inversion des valeurs qui accable la société ; c'est la désacralisation de l'existence elle-même, réduite à une variable négligeable dans le jeu des intérêts politiques et économiques.

Là réside la tragédie congolaise : une nation qui s'est, au fil des décennies, accoutumée à l'horreur quotidienne, au point que la répétition des massacres et des violences de masse n'éveille plus la juste indignation qui devrait, en toute société civilisée, susciter l'effroi et l'action.

Les douleurs et les souffrances, au lieu de mobiliser l'opinion et de stimuler des réponses politiques courageuses, se muent en une normalité funeste, où la consternation laisse progressivement place à une indifférence insidieuse. La conscience collective s'atrophie, anesthésiée par le spectacle récurrent de la brutalité, et le tissu social, pourtant porteur d'une mémoire de résilience, se fissure sous le poids d'une familiarité morbide avec la tragédie.

Dans ce contexte, les crises, loin d'être des alertes pour la réformation de l'État et de ses institutions, deviennent la règle et les dialogues censés y apporter des solutions se réduisent à des palliatifs éphémères, dénués de force contraignante.

Les palabres, aussi grandioses soient-ils, s'épuisent dans l'échange de promesses solennelles et de bonnes intentions, sans jamais s'incarner en mesures tangibles. Ainsi, l'État perd peu à peu sa substance morale et politique, et le peuple, habitué à cette oscillation perpétuelle entre l'illusion du dialogue et la cruauté des faits, se trouve prisonnier d'une répétition tragique, où le temps de la reconstruction véritable et durable semble à chaque fois différé à l'infini.

Et pourtant, à l'orée de cette nouvelle entreprise, le spectre du déjà-vu s'impose : le président Tshisekedi, obnubilé moins par la quête d'une solution durable que par la préservation de son pouvoir, risque de transformer ce forum en simple instrument de légitimation. Ses adversaires, quant à eux, se hâteront de s'y faire une place, non pour refonder le contrat social, mais afin d'assurer leur survie politique et de demeurer à la table post-dialogue.

Ainsi, les bonnes intentions affichées se dissiperont, comme tant de fois auparavant, dans le gouffre béant de l'inexécution. Car l'heure est grave : la République ne peut plus se permettre le luxe des palabres stériles.

Si le dialogue annoncé veut échapper à cette fatalité, il lui faudra rompre avec la tradition des consensus de façade et s'ancrer dans une volonté politique ferme, inscrite dans des mécanismes de mise en œuvre contraignants. La justice, notamment, ne doit plus être invoquée comme un vœu pieux, mais comme l'armature essentielle de l'État de droit. Sans une justice indépendante, impartiale et efficace, nul processus démocratique ne peut prospérer, nulle réconciliation ne peut s'accomplir, nul contrat social ne peut se réinventer.

Car c'est la justice qui, en dernier ressort, redonne un sens à la dignité humaine et arrache la République à l'abîme de la désespérance.

À l'initiative de la Conférence épiscopale nationale du Congo et des Églises protestantes, un nouveau dialogue inclusif se profile à l'horizon

Tite Gatabazi



Source : https://fr.igihe.com/Le-mirage-des-dialogues-et-la-profondeur-du-mal-congolais.html

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