
Ce désengagement, motivé par l'absence d'un accord sur le durcissement de la politique migratoire, cheval de bataille obsessionnel du PVV, met en lumière les profondes tensions idéologiques qui déchirent les démocraties européennes, prisonnières d'un populisme qu'elles ont, dans leur imprévoyance, souvent contribué à légitimer.
Le refus de cosigner un plan commun sur l'asile a suffi à briser une coalition déjà fragile, fruit d'un compromis improbable entre des forces antagonistes. Et dans cette rupture, se révèle une constante du populisme contemporain : son usage instrumental des institutions démocratiques comme leviers de déstabilisation.
En retirant son soutien au gouvernement sans assumer les charges du pouvoir, Geert Wilders illustre à merveille cette posture paradoxale d'un courant politique qui conspue l'ordre établi tout en s'en nourrissant, qui invoque la volonté populaire tout en minant les fondements délibératifs du politique.
La précipitation du roi Willem-Alexander à écourter sa visite d'État en République tchèque, face à ce bouleversement institutionnel, témoigne de la gravité de la crise : ce n'est pas seulement un gouvernement qui vacille, mais bien un pilier de la démocratie parlementaire néerlandaise, réputée pour sa stabilité et son pragmatisme.
À travers les Pays-Bas, c'est l'ensemble du continent européen qui est confronté à une lame de fond : l'irrésistible ascension des forces dites " anti-système ", dont les discours virulents et émotionnels s'alimentent des fractures identitaires, de l'insécurité culturelle et de la défiance généralisée envers les élites traditionnelles.
Derrière le masque de la rébellion, les partis populistes européens du PVV aux Frères d'Italie, du Rassemblement national en France à l'AfD allemande jouent une partition redoutablement cohérente. Ils orchestrent une dramaturgie politique fondée sur la peur : peur de l'Autre, peur du déclin, peur de la dilution civilisationnelle.
Leur rhétorique manichéenne oppose une nation idéalisée à des ennemis intérieurs et extérieurs, présentés comme les agents d'une subversion cosmopolite ou islamisante. Ce faisant, ils reconquièrent des électorats déboussolés, fatigués de compromis technocratiques et assoiffés de récits forts.
Mais le danger de cette poussée est moins dans sa véhémence que dans sa capacité à corroder les principes mêmes de la démocratie libérale. En prétendant redonner la parole au " peuple ", ces mouvements essentialisent ce dernier, le réduisant à une fiction homogène où toute dissidence devient trahison.
Ils fragilisent la pluralité, polarisent l'espace public et sapent l'État de droit sous couvert de restaurer l'ordre. Ils participent d'une crise civilisationnelle plus vaste, où l'Europe, désorientée par la globalisation, le vieillissement de ses populations et la fatigue de ses idéaux universalistes, semble hésiter entre résilience démocratique et tentation autoritaire.
L'affaire Wilders n'est pas un épiphénomène national, mais le symptôme d'un malaise continental. L'Europe, vieille de ses gloires passées et lasse de ses propres exigences, vacille devant la montée d'une radicalité que l'on croyait contenue. Si elle ne parvient pas à réenchanter le projet démocratique par une parole claire, incarnée et exigeante, elle risque de céder, sous les assauts conjugués de la peur, de la colère et de la nostalgie, à ceux qui exploitent le système pour mieux le dissoudre.

Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/Crise-neerlandaise-et-peril-europeen.html