La plainte, déposée par le CPCR sous la direction de sa fondatrice, Dafroza Gauthier Mukarumongi, repose sur trois mémoires détaillant les actions que ces plaignants imputent à l'Etat français entre 1990 et 1994. Selon Mme Gauthier, la France n'aurait pas seulement manqué de secourir des employés tutsi de son ambassade et du Centre Culturel Français au Rwanda, mais les soldats français auraient également commis des violences sexuelles contre des femmes tutsi dans la "zone Turquoise," mise en place dans l'ouest du Rwanda.
Les associations impliquées dénoncent des pratiques de discrimination opérées par l'armée française, notamment en contrôlant les identités sur les barrières, ciblant ainsi les Tutsi. Bien que l'intervention française, connue sous le nom d'"Opération Turquoise," fût officiellement une mission humanitaire, ces organisations estiment que cette présence militaire soutenait en réalité les milices Interahamwe, l'ex-armée rwandaise (Ex-FAR), et des figures politiques de l'ancien régime rwandais.
Parmi les preuves invoquées figure le massacre de Bisesero, où des soldats français auraient ignoré les appels au secours des Tutsi réfugiés, malgré une menace imminente. Selon la plainte, cette inaction aurait entraîné la mort de plus de 40 000 personnes, suivie de la tuerie de 4 000 autres Tutsi entre le 27 et le 30 juin 1994.
Le procès, tenu le 24 octobre 2024, était dirigé par l'avocat Philippe Raphaël. Dans son plaidoyer, il a affirmé que "la France aurait pu empêcher le génocide mais a soutenu politiquement, diplomatiquement et militairement les extrémistes hutu avant, pendant et après le génocide."
En avril dernier, le président Emmanuel Macron avait reconnu que la France, ainsi que d'autres nations, auraient pu empêcher le génocide, ajoutant que le manque de volonté internationale avait permis le massacre. Cette déclaration faisait écho à celle de mai 2021 au Mémorial du génocide de Kigali, où il avait reconnu la responsabilité de la France, un aveu renforcé par les conclusions du rapport Duclert.
Des témoignages récemment recueillis évoquent des abus sexuels commis par des soldats français, déployés dans le cadre de l'Opération Turquoise, contre des femmes tutsi dans la région de Cyangugu. Selon le livre '' Le génocide contre les Tutsi dans l'ancienne préfecture de Cyangugu'', des soldats, en poste dans des zones comme Kamembe, Nyarushishi et Bugarama, auraient emmené des jeunes filles sous des prétextes fallacieux pour les violer. Ces violences incluaient des sévices extrêmes, tels que l'insertion de piments et des actes de violence buccale et anale.
Constance Kambogo, témoin de ces horreurs, raconte que "les soldats français prenaient les filles et les violaient au vu et au su de tous." Les viols auraient été suivis d'une distribution de rations alimentaires, un "geste de bonté" destiné à adoucir ces crimes.
En plus de Nyarushishi, d'autres abus ont été signalés à l'aéroport de Kamembe et au Stade Kamarampaka, où des officiers comme le colonel Jacques Hogard et le colonel Patrice Sartre, en charge de l'Opération Turquoise dans les secteurs de Cyangugu et de Gikongoro, sont pointés du doigt.
L'avocat du ministère des Armées, représentant la France, a demandé que le tribunal se déclare incompétent, arguant que les accusations relèvent de la souveraineté de l'État. Les plaignants demandent 500 millions d'euros de réparations pour les dommages subis, et la décision du tribunal est attendue pour le 14 novembre 2024. Si cette dernière est défavorable, les plaignants ont prévu de saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour que la France réponde de ses actions.
Ce procès constitue un rappel de la complexité des relations franco-rwandaises et des séquelles laissées par le génocide contre les Tutsi. La demande de réparation et la possibilité d'un procès européen marquent une étape supplémentaire dans la quête de justice des rescapés, 30 ans après l'un des épisodes les plus sombres de l'histoire contemporaine.
Alain-Bertrand Tunezerwe