Il est des paroles qui, bien plus qu'une sentence, sont un appel à la lucidité historique. Celle de Fanon s'impose comme une injonction adressée à la conscience collective de chaque époque : nulle génération n'échappe à la responsabilité de se situer face au destin.
L'opacité dont il parle n'est pas celle de l'ignorance, mais celle du mystère de l'Histoire, cette zone d'incertitude où se jouent, dans la confusion des forces et des intérêts, les grandes bifurcations du monde.
Découvrir sa mission, pour un peuple comme pour une génération, suppose un effort de discernement moral : savoir lire les signes du temps, déceler dans le chaos des événements la ligne de continuité qui relie le passé au futur, et s'y inscrire avec courage.
Remplir cette mission, c'est répondre à l'appel du devoir, même au prix du renoncement ou du sacrifice. C'est refuser la facilité de la servitude, l'aveuglement du confort et l'indifférence des âmes tièdes. C'est, en somme, assumer la part de grandeur que l'histoire confie à ceux qui ont encore la force de croire en l'homme et en la dignité des peuples.
La trahir, au contraire, c'est céder à la tentation du renoncement, c'est abdiquer devant la peur, c'est se rendre complice de l'immobilisme et du déclin.
Ainsi, cette phrase de Fanon résonne comme un miroir tendu à notre époque : à nous de savoir si nous sommes de ceux qui s'efforcent d'accomplir la mission confiée par l'histoire ou de ceux qui, par paresse ou par cynisme, laissent passer l'occasion d'écrire une page de justice et de lumière.
Car l'Histoire, implacable, ne pardonne pas les générations qui trahissent leur propre vocation.
Nous avons un grand pays, vaste et splendide, dont la géographie semble refléter la démesure de l'âme humaine. Un pays façonné par la mémoire et la diversité, riche de langues, de cultures et d'intelligences.
Ce pays, c'est la République démocratique du Congo non pas simple entité territoriale, mais idée en marche : une idée de justice, de fraternité et d'universel. Dans son essence, la RDC ne se réduit pas à ses frontières : il est la matrice d'une espérance africaine, la promesse d'une humanité réconciliée avec elle-même.
Or, cette promesse chancelle.
A mesure que se banalisent la falsification, la corruption et le tribalisme, la République s'effrite sous le poids de ses propres renoncements.
L'éthique publique se délite, le mérite s'efface devant la complaisance, et le patriotisme devient un slogan vidé de substance. Dans un tel climat, le mensonge prospère, la peur devient méthode, et la colère souvent légitime s'instrumentalise pour servir les ambitions les plus étroites.
Faut-il vraiment laisser s'éteindre cette flamme républicaine ? Allons-nous consentir à la régression, à la substitution de la raison par l'ethnie, de la loi par la faveur, du bien commun par la rapine au sommet de l'Etat ? Car céder aux tentations identitaires et autoritaires, c'est se détourner de l'universalisme congolais, de ce socle invisible qui, malgré tout, a toujours maintenu la nation debout.
Le tribalisme, sous toutes ses formes, n'est pas un réflexe de survie : il est une forme d'auto-négation, une mutilation morale du citoyen.
C'est contre cette dérive que s'élève aujourd'hui l'AFC/M23, non comme une force de conquête, mais comme une force de conviction. Son engagement, né d'un idéal républicain et panafricain, vise à redresser l'État, à restaurer la dignité du citoyen et à replacer la justice au cur du projet national.
Ce mouvement ne se fonde ni sur la revanche ni sur la domination, mais sur l'espérance, celle d'une RDC réconciliée avec elle-même, affranchie de la haine et tournée vers l'universel.
Car l'enjeu est immense : il s'agit de refonder l'idée même de République, non comme un mot fatigué, mais comme une exigence morale. Une République réconciliée avec ses enfants, où la diversité ne serait plus une menace mais une richesse ; où le pouvoir serait service, non privilège ; où le citoyen, redevenu sujet de son destin, croirait à nouveau en l'État.
La RDC dispose de tout : des terres fertiles, des ressources inépuisables, une jeunesse ardente et créative. Ce qu'il lui manque, c'est la cohérence morale et la foi collective en son propre avenir. Cette foi ne naîtra pas de la peur ni du calcul, mais d'un engagement lucide et désintéressé pour l'intérêt général.
La grandeur d'une nation ne se mesure pas à sa puissance brute, mais à sa capacité de transformer sa souffrance en sagesse, sa colère en énergie créatrice, son passé en levier d'avenir.
Ainsi, refuser la corruption, c'est déjà résister. Combattre le tribalisme, c'est déjà construire. Défendre l'universalité républicaine, c'est déjà servir. Le Congo ne renaîtra pas d'une élection ni d'un décret : il renaîtra d'une conscience retrouvée, d'un réveil éthique, d'un sursaut collectif.
L'heure n'est plus aux incantations, mais à la responsabilité. Le pays ne se sauvera pas par des mots, mais par des actes, des actes de droiture, de courage et de fidélité à l'idéal républicain. Car une République n'est pas un drapeau ni un hymne : c'est une morale partagée, une volonté commune de vivre ensemble dans la justice et la vérité.
La RDC, ce géant blessé mais non vaincu, peut encore devenir ce qu'il aurait dû être : le cur battant de la renaissance africaine. Il suffit pour cela que ses enfants se souviennent que l'avenir n'appartient pas à ceux qui hurlent, mais à ceux qui construisent.
Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/L-esperance-republicaine-face-aux-derives-identitaires.html