
Ce jalon de la modernité politique, salué dans le monde entier comme l'acte de naissance des démocraties contemporaines, portait l'ambition d'une humanité délivrée des chaînes de l'arbitraire et des discriminations héréditaires.
Pourtant, plus de deux siècles après cette proclamation universelle, l'héritage lumineux de 1789 semble vaciller, assombri par la montée insidieuse des crispations identitaires. L'idéal d'une communauté politique unie dans l'égalité des droits et le respect mutuel s'érode sous la pression de discours clivant, où l'appartenance ethnique, religieuse ou culturelle redevient une ligne de fracture.
Là où devait régner l'universalisme républicain, garant d'une citoyenneté partagée au-delà des origines, se déploie désormais une logique de suspicion, de repli sur soi et de différenciation hostile. La République, censée transcender les appartenances particulières pour fonder un lien commun, se voit ainsi menacée par la fragmentation d'un corps social en proie à la méfiance et à l'exclusion.
A cette inquiétante mutation s'ajoute la résurgence brutale des haines raciales, dont la banalisation corrode le socle même de la promesse républicaine. L'antisémitisme, le racisme et les multiples formes de rejet de l'altérité infiltrent le débat public, jusqu'à s'y installer avec une régularité inquiétante. Ce phénomène ne se manifeste pas seulement par des paroles isolées ou des gestes marginaux : il traduit une érosion plus profonde, celle de la foi collective dans l'universalité des droits humains.
En se diluant dans l'indifférence ou, pire, en se parant des habits de la respectabilité politique, la haine détruit silencieusement l'idéal de fraternité proclamé en 1789 et réduit la République à une ombre d'elle-même, dépossédée de sa vocation la plus noble.
La France, jadis auréolée du prestige des Lumières, se voit aujourd'hui minée par des dérives qui contredisent l'idéal même qu'elle a offert au monde. La montée de l'antisémitisme, la recrudescence des manifestations racistes et xénophobes, l'exclusion de l'altérité comme programme politique, attestent d'une inquiétante banalisation de la haine.
Les condamnations judiciaires de certaines figures publiques, tel Éric Zemmour, pour incitation à la discrimination raciale, n'ont pas endigué le phénomène : au contraire, elles semblent se dissoudre dans un climat de tolérance coupable, où le discours stigmatisant s'installe peu à peu dans le champ ordinaire du débat public.
À l'orée des élections législatives anticipées convoquées en juin par le président Macron, après l'humiliation électorale de son camp face au Rassemblement national, la France s'est retrouvée confrontée à ses propres démons. Les invectives racistes et les rhétoriques d'exclusion ont proliféré avec une liberté inquiétante, fracturant davantage un espace civique déjà fragilisé par la défiance envers les institutions.
Si des foules immenses se sont levées pour dire leur refus d'un destin confisqué par l'extrême droite, si une majorité d'électeurs a, in extremis, écarté l'hypothèse d'un pouvoir confié aux héritiers idéologiques de l'exclusion, le mal demeure profond.
Car l'essence même du projet républicain, l'égalité des citoyens sans distinction d'origine, de croyance ou de condition, semble désormais compromise par une société où les réflexes de peur et de rejet tendent à supplanter l'idéal de fraternité.
La Déclaration de 1789, qui affirmait que " les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ", résonne aujourd'hui comme un rappel sévère de la distance abyssale qui sépare la proclamation des principes et leur effectivité. La France, patrie des droits de l'homme, semble s'être muée en l'ombre d'elle-même, incapable de protéger ce qu'elle avait su inventer, et laissant s'installer un climat délétère où l'exclusion et la haine de l'autre se parent des atours de la normalité politique.
Ainsi, l'anniversaire du 26 août ne saurait être célébré avec la légèreté des commémorations routinières : il appelle à une lucidité sans complaisance. Il enjoint à repenser le lien républicain, à réaffirmer le caractère inaliénable de la dignité humaine et à refuser, avec une fermeté sans faille, la lente érosion des droits fondamentaux.
Car l'ombre de l'intolérance ne saurait effacer la lumière de 1789 sans que la France ne renonce à son identité la plus profonde.

Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/L-heritage-obscurci-de-1789-ou-la-promesse-universelle-a-l-epreuve-de-l.html