L'objectif de ce groupe (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) est de remettre en question l'hégémonie du dollar dans le commerce international, une ambition qui s'inscrit dans un cadre géopolitique et géostratégique plus large, marqué par des rapports de force en pleine évolution au détriment de l'Occident.
La domination du dollar sur l'économie mondiale est perçue par les BRICS comme un outil de pouvoir pour les États-Unis et, plus largement, l'Occident. Cette suprématie confère aux États-Unis un levier économique considérable, notamment à travers l'imposition de sanctions unilatérales qui pénalisent les économies émergentes.
En cherchant à créer des monnaies alternatives, comme une monnaie commune ou des systèmes de paiement indépendants des structures occidentales (comme SWIFT), les BRICS veulent se prémunir contre ces pressions.
Cependant, créer des monnaies alternatives prendra du temps et nécessitera des ajustements complexes, notamment en raison de la diversité économique des membres du BRICS.
La Chine et la Russie, par exemple, possèdent des économies relativement complémentaires, mais d'autres, comme l'Afrique du Sud, sont plus intégrées aux circuits financiers mondiaux dominés par le dollar. La transition vers un autre modèle monétaire devra donc être progressive.
Derrière cet effort pour créer des alternatives au dollar, se cache un enjeu de rééquilibrage des relations internationales. L'Occident, traditionnellement au centre des prises de décision économiques et politiques globales, voit son influence diminuer face à des pays émergents comme la Chine et l'Inde, qui représentent des moteurs économiques d'envergure mondiale. Ce sommet est donc un symbole du basculement progressif de l'équilibre des forces vers l'Est et le Sud global. Ce bouleversement est également visible sur le plan géostratégique.
Les BRICS cherchent à renforcer leur coopération dans des secteurs comme l'énergie, la sécurité alimentaire, et l'innovation technologique, réduisant ainsi leur dépendance envers les marchés et technologies occidentaux. Cette tendance est particulièrement marquée par les investissements chinois massifs en Afrique et en Asie, qui visent à créer de nouvelles routes commerciales indépendantes des grandes routes maritimes occidentales.
L'inclusion de Chefs d'État africains comme ceux d'Afrique du Sud, d'Égypte et d'Éthiopie au sommet souligne l'importance croissante de l'Afrique dans ces rapports de force géopolitiques. Le continent est désormais au centre des ambitions économiques des puissances émergentes, avec des investissements massifs, notamment dans les infrastructures et l'exploitation des ressources naturelles.
En effet, la Russie et la Chine se posent comme des partenaires stratégiques, proposant des alternatives aux modèles occidentaux d'aide et de coopération, parfois perçus comme néocoloniaux. Ce tournant pourrait renforcer l'autonomie politique et économique des pays africains tout en redistribuant les cartes du pouvoir mondial.
Face à cette reconfiguration des rapports de force, l'Occident, et en particulier les États-Unis, est confronté à une remise en question de son leadership mondial.
L'émergence de pôles de pouvoir régionaux, combinée à une critique croissante des mécanismes dominés par l'Occident (comme les institutions de Bretton Woods), pourrait affaiblir l'influence des pays occidentaux dans la prise de décision internationale.
La récente guerre en Ukraine et la réticence de nombreux pays du Sud global à s'aligner sur les positions occidentales illustrent bien ce déclin relatif. Cette perte de contrôle sur les dynamiques internationales pourrait se traduire par un réajustement des stratégies diplomatiques occidentales, avec une tentative de réengagement ou, à défaut, d'isolement stratégique.
Le sommet des BRICS 2024 marque une étape importante dans la contestation de l'ordre mondial établi. Le projet de création de monnaies alternatives au dollar, bien qu'ambitieux et long à mettre en place, symbolise un mouvement plus vaste de redéfinition des équilibres géopolitiques et géostratégiques, au détriment de l'Occident et au bénéfice des puissances émergentes.
Tite Gatabazi
