
Née des accords d'Oslo au début des années 1990, cette vision repose sur l'établissement de deux entités souveraines et coexistant pacifiquement : un État d'Israël reconnu dans ses frontières sûres et durables et un État palestinien indépendant vivant côte à côte, dans la reconnaissance mutuelle, la sécurité et la dignité.
C'est cette même perspective, à la fois pragmatique et fondamentalement humaniste, que portait Yitzhak Rabin, ancien Premier ministre israélien, lorsqu'il fut fauché par les balles d'un extrémiste issu de sa propre nation, en novembre 1995.
Son assassinat a marqué un tournant funeste, enrayant une dynamique de dialogue déjà fragile, et révélant combien les forces hostiles à tout compromis étaient résolues à saborder tout embryon de paix. Depuis lors, le processus s'est enrayé, jusqu'à devenir aujourd'hui une idée presque mythique, invoquée mais rarement servie, évoquée mais peu honorée.
Et pourtant, elle demeure malgré les affrontements récurrents, les colonies qui s'étendent, les roquettes et les représailles, la seule perspective politique crédible capable de désamorcer l'engrenage de violence, de restaurer la légitimité des aspirations nationales des deux peuples et d'offrir une architecture pérenne à la coexistence.
C'est cette solution que certains pays européens tentent de faire revivre à travers la reconnaissance unilatérale de l'État palestinien, une démarche diplomatique qui, tout en étant hautement symbolique, constitue également un geste politique de rupture face à l'inertie internationale.
L'Europe fracturée entre mémoires, intérêts et principes
L'annonce faite par Emmanuel Macron de reconnaître officiellement l'État palestinien en septembre prochain, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, a provoqué une onde de choc au sein de l'Union européenne. La France, en s'alignant sur les positions déjà adoptées par plus de 140 États à travers le monde, rejoint l'Espagne, l'Irlande, la Slovénie et d'autres pays du continent qui ont fait ce choix en dépit de la complexité du contexte géopolitique.
Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, a salué cette initiative en des termes sans équivoque, déclarant qu'il fallait " protéger ce que Benyamin Netanyahu tente de détruire ", réaffirmant par là la centralité de la solution à deux États. De son côté, l'Irlande a également rappelé que seule cette formule peut garantir à la fois la sécurité d'Israël et la dignité du peuple palestinien.
Mais cette dynamique est loin de faire l'unanimité. En Allemagne, dont la relation avec Israël est façonnée par le poids d'une histoire tragique, la prudence demeure la ligne officielle. Berlin affirme son attachement à la solution à deux États, mais récuse toute reconnaissance unilatérale de la Palestine, jugeant qu'un tel geste risquerait de nuire aux négociations futures. La position allemande, en réalité, est tiraillée entre une solidarité historique indéfectible envers Israël et les appels croissants à une plus grande impartialité, comme en témoignent les critiques de 130 diplomates allemands contre ce qu'ils perçoivent comme un soutien trop inconditionnel au gouvernement israélien, notamment depuis le déclenchement de la guerre à Gaza.
Derrière ces divergences se dissimule un débat plus profond sur la vocation morale de l'Europe dans le monde : est-elle un acteur neutre, un garant du statu quo, ou une puissance normative capable de peser par ses positions et d'infléchir les rapports de force ? L'hésitation des Vingt-Sept trahit moins une division circonstancielle qu'un embarras structurel sur la manière de conjuguer la mémoire, la justice et la géopolitique.
Un geste diplomatique ou une stratégie de rééquilibrage moral
La conférence ministérielle prévue à New York, à l'initiative de la France, rassemblera une quarantaine de pays désireux d'amorcer un tournant. Si elle n'a pas vocation à redéfinir les lignes du conflit israélo-palestinien, elle pourrait néanmoins en relancer les termes et créer une nouvelle dynamique autour de la reconnaissance diplomatique de l'État palestinien.
Actuellement, douze pays membres de l'Union européenne ont officiellement reconnu la Palestine, certains dès 1988 dans le sillage de la proclamation d'indépendance de l'OLP notamment les anciennes républiques socialistes d'Europe centrale et orientale, qui s'étaient positionnées avant même leur adhésion à l'UE.
Mais d'autres nations, comme la Hongrie de Viktor Orbán, adoptent aujourd'hui une posture résolument pro-israélienne. En avril dernier, le Premier ministre hongrois a accueilli Benyamin Netanyahu avec tous les honneurs, en dépit du mandat d'arrêt délivré contre lui par la Cour pénale internationale. Une telle proximité illustre l'hétérogénéité des alliances, mais aussi les lignes de fracture idéologiques croissantes au sein de l'Union européenne.
Au Royaume-Uni, l'épineuse question de la reconnaissance palestinienne divise également le nouveau gouvernement travailliste de Keir Starmer. Bien que celle-ci ait figuré parmi les promesses de campagne, le Premier ministre préfère évoquer un " moment propice " encore indéfini, tout en convoquant une réunion d'urgence sur la crise humanitaire à Gaza. Sous la pression de plus d'une centaine de parlementaires, il marche sur une ligne de crête entre engagement moral et réalités diplomatiques, entre Washington et Bruxelles, entre prudence électorale et exigence éthique.
Ainsi, la reconnaissance de l'État palestinien, loin d'être un simple geste diplomatique, s'impose aujourd'hui comme un acte de repositionnement stratégique pour l'Europe. Il s'agit moins de déclarer unilatéralement une souveraineté que de réaffirmer un cap moral, de rendre sa consistance à un projet de paix qui, depuis l'assassinat de Rabin, n'a cessé de s'effilocher.
Car si la solution à deux États reste théoriquement sur la table, sa mise en uvre suppose un courage politique dont les capitales occidentales, pour l'heure, semblent encore cruellement dépourvues.

Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/Le-dilemme-europeen-face-a-la-reconnaissance-de-la-Palestine.html