
Las, le cours de l'histoire, insaisissable et têtu, en décida autrement. Dès lors, l'annonce tonitruante de son retour résonne moins comme une surprise que comme la reprise d'une partie interrompue par les caprices du destin. Une rencontre politique suspendue aux intempéries du temps, que l'ancien président s'apprête à reprendre là où il l'avait laissée.
Son retour, désormais annoncé avec éclat, prend les allures d'un véritable cataclysme politique, dont les secousses sismiques pourraient fort bien ébranler les fondations institutionnelles et réagencer, dans une tectonique complexe, les équilibres politiques en RDC.
Car il revient dans un pays rongé par une instabilité chronique dans sa partie orientale, un territoire où chaque allégeance, chaque fidélité qu'elle soit clanique, militaire ou communautaire pèse de tout son poids dans l'architecture mouvante du pouvoir.
Cette réémergence soulève une kyrielle d'interrogations stratégiques : assiste-t-on à une tentative masquée d'influencer les prochaines échéances électorales ? A une entreprise de recomposition opérée par des voies souterraines ? Ou bien à un dessein plus ambitieux encore, nourri d'un calcul au long cours, celui de se poser en régulateur tacite, voire en recours suprême, dans un champ politique morcelé, traversé de lignes de faille et d'ambitions contrariées ?
A bien des égards, cette résurgence ne suscite guère l'enthousiasme : elle est accueillie avec une circonspection lourde de sous-entendus, mâtinée d'une inquiétude à peine voilée. Car le spectre du passé n'est jamais loin, et le retour du " raïs " pourrait raviver des antagonismes anciens, rouvrir des blessures à peine cicatrisées, et réveiller les fantômes d'une époque que beaucoup espéraient révolue.
En vérité, derrière la silhouette du revenant, ce que l'on discerne, c'est une ambition demeurée intacte, une volonté de puissance demeurée sourde au temps et aux revers. Peut-être même cette volonté se voit-elle revigorée aujourd'hui par le sentiment lancinant d'un inachèvement historique.
Car il ne s'agit pas ici d'un simple retour dans l'arène : c'est une entreprise de réappropriation narrative, une tentative d'imprimer à nouveau sa marque sur le récit national, de ressaisir les rênes d'un destin dont il ne s'est jamais véritablement détaché.
Depuis son retrait discret de la scène publique et son installation quasi permanente hors de Kinshasa, Joseph Kabila Kabange s'était muré dans un silence dont la densité politique ne cessait d'alimenter les spéculations.
Mais le 8 avril dernier, l'ancien président de la République démocratique du Congo a brisé cette réserve, annonçant son retour imminent au pays, non sans une part de mystère soigneusement entretenue quant à la date et au point d'entrée. Il évoque sobrement un retour "par l'Est", une formule qui, dans le contexte congolais, résonne avec des échos tant géographiques que symboliques.
Une galaxie de fidèles en ordre de bataille
Ce retour proclamé ne saurait être interprété comme l'expression passagère d'une volonté solitaire ou d'un élan nostalgique. Il s'apparente bien davantage à un mouvement savamment prémédité, inscrit dans une dynamique de reconfiguration politique à haute intensité stratégique.
Loin de surgir dans le vide, cette initiative s'ancre dans une lecture rigoureuse des rapports de force, et témoigne d'une volonté manifeste de réinvestir l'espace public et institutionnel par des voies indirectes, mais non moins déterminantes.
À l'abri des regards, Joseph Kabila s'emploie méthodiquement à réactiver l'entrelacs de fidélités patiemment nouées durant ses années de présidence. Il s'agit là d'un maillage complexe de loyautés personnelles, d'alliances communautaires et d'affinités militaires, dont les ramifications, bien que partiellement immergées dans l'opacité, laissent entrevoir une architecture parallèle de pouvoir en gestation.
Ce patient travail de réanimation des réseaux, conduit avec la rigueur d'un stratège, laisse présager une volonté de peser à nouveau, sinon de manière frontale, du moins en filigrane, sur les grands équilibres du pays.
D'après des sources concordantes, c'est à Harare que se joue une partie cruciale de ce redéploiement. L'ancien chef de l'État y reçoit avec une intensité croissante de nombreuses figures venues de RDC : d'anciens collaborateurs, des compagnons de route de la première heure, mais également une nébuleuse de profils plus énigmatiques, parmi lesquels certains exilés récents du paysage politique congolais.
Parmi ces fidèles, un nom s'impose avec une singulière résonance : celui du général John Numbi. Ancien chef de la police nationale puis inspecteur général des FARDC.
Des alliances transnationales et communautaires
Au-delà de ce noyau dur, Joseph Kabila entretiendrait des échanges soutenus avec des figures de l'opposition congolaise actuellement en exil, notamment en Belgique. A ces connexions politiques s'ajoutent les allégeances communautaires : plusieurs notables du Nord-Kivu, certains historiquement liés à des groupes armés opérant dans l'Est du pays, auraient réitéré leur loyauté à l'ancien président, dans une conjoncture où les dynamiques locales d'influence pourraient se révéler décisives.

Tite Gatabazi