
Ce que l'on observe n'est pas la simple conséquence d'intempéries, mais la manifestation accablante d'un naufrage urbain longuement mûri, fruit amer d'une gouvernance obsolète, d'une urbanisation effrénée et d'une incurie institutionnelle prolongée.
L'absence quasi totale de systèmes d'assainissement dignes de ce nom, conjuguée à une planification urbaine erratique, a engendré une mégapole livrée à elle-même, où le désordre spatial le dispute à la vulnérabilité structurelle.
Dans cette métropole hypertrophiée, jadis conçue pour une population dérisoire, chaque averse devient le catalyseur d'un effondrement programmé, tant de l'espace urbain que de l'architecture étatique qui le soutient.
Kinshasa, cur palpitant mais gangrené de la République, appelle non plus à des réformes fragmentaires, mais à une reconfiguration visionnaire, à la hauteur des défis géopolitiques, sociaux et écologiques du XXIᵉ siècle.
Kinshasa, jadis perle du bassin du Congo et aujourd'hui capitale tentaculaire de la République Démocratique du Congo, s'enlise chaque jour davantage dans les affres d'un désordre urbain devenu chronique.
L'ampleur des inondations récurrentes, véritable théâtre de tragédies humaines et matérielles, met à nu les carences abyssales d'un système d'assainissement moribond, et révèle, dans une crudité sans détour, l'inadéquation flagrante du modèle de développement hérité de l'époque coloniale.
Plus qu'une alerte, c'est un cri d'agonie que pousse une ville à bout de souffle, prisonnière de ses contradictions et délaissée par une gouvernance défaillante.
Une capitale corsetée dans un héritage obsolète
Conçue à l'aube du XXe siècle pour abriter une population n'excédant pas 350 000 âmes, Kinshasa s'est développée selon une logique de contrôle et de ségrégation, étrangère aux dynamiques naturelles de croissance démographique et urbaine.
Aujourd'hui, avec plus de 18 millions d'habitants, la ville se déploie dans une anarchie spatiale affligeante, où les constructions prolifèrent sans encadrement, les quartiers s'étendent dans l'informalité, et les réseaux vitaux, eau, électricité, voirie, évacuation des eaux usées sombrent dans la vétusté ou l'inexistence.
Cette croissance incontrôlée a donné naissance à une série de fléaux endémiques :une asphyxie infrastructurelle, marquée par l'effondrement progressif des services publics ;une précarité sociale galopante, nourrie par un chômage de masse et une informalité généralisée, une insécurité foncière chronique, génératrice de conflits et de marginalisation ;une paralysie de la mobilité urbaine, où chaque déplacement devient un calvaire.
L'eau, miroir d'un échec systémique
A chaque saison des pluies, Kinshasa se transforme en gouffre liquide. Les torrents d'eau, faute de canalisations adéquates et d'un système d'évacuation efficace, déferlent sur les artères et les habitations, ravageant tout sur leur passage.
Routes défoncées, maisons effondrées, glissements de terrain, pertes en vies humaines : tel est le funeste tableau qui s'impose, implacablement, année après année.
Ce chaos n'a rien de naturel. Il est le produit direct d'une absence de planification, d'une inaction coupable, et d'un mépris persistant pour les impératifs élémentaires d'assainissement.
Une capitale digne de ce nom ne saurait prospérer sur un sol gorgé d'eaux stagnantes, jonché d'ordures, et livré à l'urbanisation sauvage. Kinshasa étouffe, littéralement, sous le poids de ses déchets et de l'incompétence administrative.
Une ville coupée du pays, un pouvoir désincarné
Ironie du sort, Kinshasa concentre l'essentiel des leviers de décision politique, économique et institutionnelle, tout en apparaissant aux yeux de nombreux Congolais comme une entité déconnectée, fermée sur elle-même, et indifférente aux souffrances du reste du territoire.
Ce centralisme exacerbé, fruit d'un jacobinisme mal adapté à la réalité congolaise, engendre des déséquilibres territoriaux criants, où les provinces périphériques notamment l'Est, l'Équateur et le Kasaï sont reléguées au rang de marges oubliées.
Ce déséquilibre alimente les frustrations, exacerbe les tensions identitaires, et mine la fragile cohésion nationale.
Pour une refondation de l'espace national
Kinshasa n'est pas seulement une ville en crise ; elle est le reflet d'un modèle national en panne. La maintenir comme capitale unique, sans réforme en profondeur, revient à perpétuer un statu quo destructeur.
Le moment est venu d'adopter une vision audacieuse, de redéfinir les fondements de la géographie institutionnelle, et d'engager une refondation ambitieuse de l' espace national.
Changer de capitale n'est ni un caprice ni une fuite en avant. C'est une réponse structurée à un échec historique, et un acte de foi en l'avenir. Il en va de la survie d'une ville, mais aussi de la cohérence d'un pays tout entier.

Tite Gatabazi
Source : https://fr.igihe.com/Kinshasa-s-effondre-et-la-RDC-vacille.html